Si…

 

Photo : Anna David

« Si on ne touchait à rien… », dit Falk Richter d’une voix venue de la Schaubühne am Lehniner Platz…

La Schaubühne, donc, est de retour en Avignon. Sans Ostermeier ni Sacha Walz, mais avec Anouk van Dijk, danseuse et chorégraphe et Falk Richter, auteur et metteur en scène. Leur projet : « Trust » — entre danse et théâtre.

Résumer le propos de « Trust » ne pourrait donner qu’une idée vague de ce qui se passe sur le plateau tant tout tient à la rapidité, aux excès, à l’ironie d’une écriture qui se déploie en paradoxes, arborescences, excroissances. « Trust » est une saisie du bruit du monde occidental qui nous entoure : argent, liquidation d’entreprises, stages de remise en forme pour cadres fatigués, solitude en chambres d’hôtels, GPS qui évitent de se perdre, familles et couples éclatés. Richter parle de là où il est, d’un monde d’aujourd’hui, et il le pousse dans ses retranchements, il met à nu la logique et la folie de ses mécanismes — ces mécanismes que nous subissons, qui nous envahissent, qui nous gangrènent, malgré nous, et ce jusque dans notre vie intime.

«Et si tu voulais juste rester assis, là, ça ne changerait rien… »

Dans cette chorégraphie textuelle — ou ce texte chorégraphié, c’est selon — des corps veulent se rapprocher, se toucher, s’appuyer… Ils s’attrapent et s’accrochent, mais se détachent rapidement de l’autre, se perdent… Brisées les lignes !

« Et si je restais, ça ne changerait rien… »

Vient la perte de confiance et ils se détournent, s’effondrent.

« C’est trop compliqué de tout changer maintenant…»

Les mots, les corps cherchent une autre forme de contact… Ils en ont peur.

« Si on ne touchait à rien, d’accord ? »

Chaque mouvement réalisé — chaque mot prononcé — contrarié par celui qui le suit, est connoté psychologiquement et débouche sur un épuisement sans repères : « la fatigue d’être soi », le goût du sexe oublié.

Falk Richter s’intéresse à cet écoulement, à ce vertige, à ce brouillage particulier du moi. Un brouillage. Le brouillard… « Ein Weg ist ein Weg, auch im Nebel », disait Max Frisch. Dans ce brouillard où tout se brouille, s’estompe, se dissout, l’être devient une esquisse au crayon gris…

« Et si je partais, ça ne changerait rien… » jette à encore l’un deux comme il jetterait une pierre dans l’eau. Mais… fini le temps des ricochets !

À tous ceux qui se demandent pourquoi le théâtre allemand est si présent sur nos scènes, en Avignon, et tout au long de nos saisons, la réponse à apporter est simple : le théâtre allemand, avec sa haute et grande tradition d’auteurs, de metteurs en scène, d’acteurs, de troupes, reste en haut de l’affiche européenne car, « au théâtre, il n’y a pas de règles, mais il faut bien les connaître ». (Charles Dullin)

Ornella, Avignon, juillet 2010

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