La Saint-Barthélémy…

Voltaire

Voltaire

 

Le signal est donné sans tumulte et sans bruit ;
C’était à la faveur des ombres de la nuit.
(…)
Les meurtriers au carnage échauffés,
Criant à haute voix :
« Qu’on n’épargne personne ;
C’est Dieu,
c’est Médicis,
c’est le roi qui l’ordonne ! »
(…)
Qui pourrait cependant exprimer les ravages
Dont cette nuit cruelle étala les images?
(…)
Je ne vous peindrai point le tumulte et les cris.
Le sang de tous côtés ruisselant dans Paris,
Le fils assassiné sur le corps de son père.
Le frère avec la sœur, la fille avec la mère.
Les époux expirant sous leurs toits embrasés.
Les enfants au berceau sur la pierre écrasés :
Des fureurs des humains c’est ce qu’on doit attendre.
Mais ce que l’avenir aura peine à comprendre,
Ce que vous-même encore à peine vous croirez,

Ces monstres furieux, de carnage altérés,
Excités par la voix des prêtres sanguinaires,
Invoquaient le Seigneur en égorgeant leurs frères ;
fit, le bras tout souillé du sang des innocents,
Osaient offrir à Dieu cet exécrable encens.

François-Marie Arouet Voltaire

Daisy…

Photo : Christian Berthelot 2014

Photo : Christian Berthelot 2014

 

Gastspiel der Compagnie Rodrigo García (Spanien)
und der Bonlieu Scène Nationale Annecy (Frankreich)
von Rodrigo García
Regie und Bühne: Rodrigo García
am 4. April 2014

Festival internationale Neue Dramatik 2014 der Schaubühne in Berlin

Der spanisch-argentinische Theatermacher Rodrigo Garcia (seit Januar 2014 künstlerischer Leiter des Théâtre des Treize vents in Montpellier) nimmt die Zuschauer in seiner neuen Arbeit : Daisy mit auf eine aberwitzige Reise mitten ins Herz der Verzweiflung über die Banalität unserer hochzivilisiert-leerlaufenden Gegenwart. Garcias Text ist von großer sprachlicher Wucht, hellsichtiger Klarheit und heilsamen, rabenschwarzem Humor.

Rodrigo Garcia schickt zwei Protagonisten in dem Kampf mit der Banalität (wie gesagt) des Alltags, dem Leerlauf westlicher hochzivilisation, des Lachhaftigkeit des daseins, ihnen zur Seite : zwei Hündchen, eine Schildkröte, hunderte Kakerlaken und Weinbergschnecken, ein Streichquartett, das Beethoven spielt und des Philosoph Leibnitz, der als Hundecoach auftritt.

In diesem Stück, sagt Rodrigo Garcia : Emily Dickinson ist kein Star, nur ein Scheiß Symbol in diesem 21. Jh.

Ach so ! ?

« Arcturus » is his other name

« Arcturus » is his other name—
I’d rather call him « Star. »
It’s very mean of Science
To go and interfere!

I slew a worm the other day—
A « Savant » passing by
Murmured « Resurgam »— »Centipede »!
« Oh Lord—how frail are we »!

I pull a flower from the woods—
A monster with a glass
Computes the stamens in a breath—
And has her in a « class »!

Whereas I took the Butterfly
Aforetime in my hat—
He sits erect in « Cabinets »—
The Clover bells forgot.

What once was « Heaven »
Is « Zenith » now—
Where I proposed to go
When Time’s brief masquerade was done
Is mapped and charted too.

What if the poles should frisk about
And stand upon their heads!
I hope I’m ready for « the worst »—
Whatever prank betides!
Perhaps the « Kingdom of Heaven’s » changed—
I hope the « Children » there Won’t be « new fashioned » when I come—
And laugh at me—and stare—
I hope the Father in the skies
Will lift his little girl—
Old fashioned—naught—everything—
Over the stile of « Pearl. »

Emily Dickinson
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Le dire autrement, encore…

"L'amant"

 

dire d’abord,

– projet pour un homme,

une femme

et un livre devant un lit –

et, au lieu d’un narrateur unique, choisir — pour relire La maladie de la mort, de Marguerite Duras — d’opposer un homme et une femme, sans jamais établir de dialogue, le texte n’en prévoit pas :

« Elle demande… »

« Vous dites… »

« Elle sourit… »

« Vous lui demandez… »

Lire à haute voix, c’est la voix qui rend palpable le mystère et la tension de cette rencontre désespérée.

Et entendre :

un homme engage une femme à passer quelques nuits avec lui

, il dit qu’il veut connaître ça, La femme

, des nuits passent ; s’enchaînent

, elle, elle dort

, parfois elle parle.

, lui, essaie de la regarder ;

, parfois il lui donne de la jouissance

, parfois il pleure

, il crie aussi

pendant qu’elle dort

, et toujours, il essaie de la regarder, encore

, et c’est ainsi l’impossible qui s’ouvre devant lui.

 

C’est effectivement l’histoire d’une rencontre, mais on ne sait pas si elle a existé hors de nous-même. Elle a tout simplement lieu dans un conditionnel. C’est peut être une de ces histoires qui sont déjà finies avant même d’avoir commencé. Ici, seulement la volonté de vivre s’affirme — malgré son impossibilité.

En traversant cette histoire, tenter de nommer ce qui paraît innommable, cerner ce qui semble être pour toujours suspendu dans un nulle part.

Ne rien voir.

Ne rien dire.

Ne rien entendre.

Être là.

Prêt ou pas.

Être là.

Pour entendre.

Quelque chose.

Peut-être.

De cette langue de Duras qui fait signe.

 

Ornella, Avignon, le 16 juin 2013

 

Ourlades du vide…

Photo Jackie Andrès

Ce soir là, « la scène est vide »… ou du moins, c’est ce qui fut dit.

La scène… vide. Vide, c’est à dire, sans comédiens. Pas de comédiens, mais… une scène

et des voix… La machine a une voix, des voix. Des voix qui sonorisent le vide.

« Une nature morte »… « Rien »… fut-il encore dit.

Rien ? Si. Un trou. Le trou du souffleur. Trou Empédocle. Perte chue dans le vide mais non pas pour autant perdue.

Un trou-embouchure, et puis… des spectateurs… visualisant l’espace théâtralisé dans lequel la scène, pas à pas, prend acte.

Acte… L’acte de perception est un acte complexe, ambigu, qui intervient dans la manière particulière et unique que chacun a de percevoir une image, fut-elle une nouvelle esthétique de la perception.

Car ici, nous sommes confrontés à une intelligence artificielle du sens, où l’Art devient synonyme de technè. « La question de la technique n’est autre que la question du sens aux confins ». Le sens aux confins… desquels — par le binôme « illusion-perception », et ce, au singulier — l’image tire sa puissance. Et sa surface irradie une vérité qui n’est pas révélée, mais exposée… Et là, du fond de l’image, la mort nous dévisage…

Alors, nous passons de l’autre côté du miroir. Un miroir sans tain, d’où image une danse en virtuel.

Reste le public… On l’appellerait celui qui est appelé. L’élu, peut être. Nous en parlerons une autre fois. Il était heureux ce soir là.

Michèle Jung

La Chartreuse, Villeneuve les Avignon, 10 juin 2010

Oblomov

Brigitte Enguerand/Divergence

Théâtre du Parvis St Jean, CDN Bourgogne, Dijon, le 4 février 1995.

Je fais partie d’une génération qui a lu « Le droit à la paresse » de Paul Lafargue. C’est une référence littéraire qui vous revient quand vous entrez dans les « Journées de la vie d’Oblomov » d’Yvan Gontcharov, dont l’adaptation, dialoguée et considérablement abrégée par Dominique Pitoiset (le metteur en scène) et André Markowicz (le traducteur), a été préfacée par un de nos talentueux psychanalystes contemporains : Daniel Sibony.

Mais Oblomov n’est pas un paresseux. Ce qui le porte à rester inactif, c’est le degré de conscience avec lequel — lové dans une position fœtale sur son « divan » — il analyse la vie et, en cette fin de siècle. C’est à une analyse de notre système de croyances qu’il nous renvoie : changement des représentations, des comportements, des compétences, des valeurs, de l’identité ; changement de l’organisation sociale du temps, du travail et des loisirs. Nous découvrons alors un éloge du renoncement : qui n’a pas rêvé, comme Oblomov, de vivre retiré à la campagne, entouré de quelques amis choisis, alors qu’il vit comme Stolz, l’ami de toujours, constamment à la recherche de rentabilité maximum pour chaque instant vécu ?

Dominique Pitoiset est resté dans le mythe russe de l’oblomovisme — au plus près de la psychologie du personnage. Cette remarque est un reproche car, au-delà de la provocation du propos de Gontcharov, nous aurions pu entrevoir l’analogie entre un processus de changement des croyances d’une société et ce qui se passe pour un agonisant. À savoir : l’annonce de la mort, le déni, la dépression, la rébellion, la négociation et l’association sereine. Nous aurions pu l’entrevoir car c’était dans le texte : « – (…) Ce que tu me proposes, c’est la mort. – (…) Il faut nous y préparer Olga. »

L’adaptation audacieuse de Pitoiset et Markowicz (passer de la forme narrative au dialogue) nous embarque dans un spectacle de trois heures où alternent les répliques et les pans de récitatifs, trois heures malgré les coupures indispensables effectuées dans ce roman-fleuve. Et c’est effectivement cette impression qui domine : un roman-fleuve qui n’en finira pas…

Le spectacle évolue heureusement dans un très beau décor abstrait de Kattrin Michel, décor matérialisé par un immense parallélépipède blanc troué de quatre portes latérales, assez basses pour obliger les comédiens à se plier en deux pour entrer et sortir de ce trou. Ces comédiens incarnent des personnages très théâtraux qui empruntent tout autant à l’art de la marionnette qu’à celui de la bande dessinée, et sont peut-être l’incontournable raison de l’adhésion du spectateur.

Ornella, le 17 novembre 2006

Onze octobre

Onze août… onze octobre…

Août, septembre, octobre… Silence.

Après une après-midi de « feuillothérapie » — thérapie par le ramassage des feuilles mortes et leur incinération — le désir de passer un moment en écriture, au risque de pointer le manque, ce vide si insupportable que des représentations viendront s’y glisser ?

L’écriture . Die Ausdruckweise ? Die Beschreibung ? Die Redensart ? Die Schreibweise ? Die Schrift ? Die Schriftstellerei ? Die schriftliche Anzeichnung ? Variations légasthéniques serties dans la brisure.

Rousseau décrit le passage à l’écriture comme la restauration — par une certaine absence et par un type d’effacement calculé — de la présence déçue de soi dans la parole. Écrire, dit-il, est le seul moyen de reprendre la parole puisque celle-ci se refuse en se donnant.

« Tout est fragment, énigme et cruel hasard ». Nietzsche, in : « Zarathoustra » (De la Rédemption). Fragments refroidis, traces brûlantes…

Adelante !

Très chère puce,

Hier soir, j’étais à l’Espace Albarède de Ganges, on y présentait « Adelante ! », création du « Théâtre pour les gens » de Lunel, mis en scène par Steffan Romano. J’ai envie de t’en parler.

Ce spectacle de Béatrice et Stephane : bou-le-ver-sant ! Six ans de détresse, de solitude, de désespoir, portés, sublimés à la scène. Béatrice — déjà pétrifiée, avec encore quelque sursaut d’un érotisme qu’elle ne veut pas abandonner. Steffan, mort depuis longtemps, regardant comme un vieillard sénile ces jeunes comédiens qui s’évertuent encore à jouer, à rire, à s’aimer (ils sont six). Béa et Stef, l’un et l’autre, ne disant pratiquement pas de texte : ils sont sans voix, maintenant, d’avoir peut-être trop crié, ils sont loin l’un de l’autre dans cet espace scénique, ils ne se touchent jamais.

Les voix des autres disent en substance, par les mots (maux) des auteurs cités (Molière, Céline, Baudelaire, H. Laborit, Caussimon…), qu’ils ont compris que leur imaginaire ne faisait pas recette, mais qu’il était acquis qu’ils ne s’en écarteraient pas parce que c’était le leur, qu’ils ne flatteraient personne pour qu’on les suive, financièrement ou intellectuellement.

Voilà. Un spectacle de clown-triste-poétique-esthétique. Béatrice chante « Le clown est mort » de G. Esposito. Steffan, déguisé en Molière moribond, entonne « L’inaccessible étoile ». Là, j’ai pleuré, et je pleure encore en t’écrivant. J’ai pu leur parler un peu de tout ce que j’ai ressenti : toute leur difficulté à vivre cette profession qui est leur raison de vivre… Steffan a fait ce que tu fais dans les enterrements : il m’a consolée. Il m’a dit aussi qu’il ne fallait surtout plus s’inquiéter, puisque le spectacle était là !

Dur ! Dur ! La vie d’artiste. La vie de spectateur aussi…

Michèle Jung, le 19 juin 1991

Roger Planchon

Cher Jean,

Tu ne m’as rien demandé et pourtant ça me démange de te dire ce que je pense de la pièce de Planchon lue lundi soir. Je suis partie très vite car je ne voulais croiser aucun regard interrogateur qui m’aurait inévitablement amenée (je me connais) à parler à chaud de la déception que j’avais éprouvée.

Planchon commence par un speach où il insiste sur le devoir qu’on (spectateur) doit se faire d’écouter, de voir les pièces contemporaines. O.K.

Mais qu’est-ce qu’une pièce contemporaine ? Qu’est-ce qu’une écriture contemporaine ? Une pièce écrite, dans notre siècle, avec un crayon à bille ou un ordinateur ? Car, qu’y a-t-il d’autre dans cette pièce qu’une nostalgie de troufion (Sadam Hussein est beaucoup plus créatif en matière de stratégie guerrière) qui tire sur tout ce qui bouge ou qui le dérange, ou qui « tire (encore !) un coup » avec la première fille qui passe. Pardonne, s’il te plait, ma vulgarité, mais c’est dans le ton de la pièce, non ? Qu’y a-t-il d’autre qu’une nostalgie de la femme, Blanche — c’est son prénom !, vierge, n’ayant d’autre conversation que ses larmoiements. Qu’y a-t-il d’autre qu’une avalanche de clichés… Qu’y a-t-il…

Mais je n’ai pas envoyé ce texte à Jean, le dossier de presse reçu était si élogieux !

Michèle Jung, le 26 novembre 1990, à propos de « Le vieil hiver », lu par Roger Planchon, au C.D.N. (Théâtre des Treize Vents)…

Apert

Cher Olivier,

En rentrant de La Chartreuse, j’avais lu votre texte, mais je n’étais pas assez disponible pour écrire. Je le fais aujourd’hui, premier jour d’une « vacance » qui me ravit. Le voïvode & le chanteur… Et bien… allons-y ! Je me mets à la table du festin — als Kalligraph — pour tenter de dire, de donner — moi aussi — quelque chose, chose de ce « quelque » qui n’est pas rien, même si mon ignorance de ce que je vais écrire est grande, quasi nécessaire, voire salutaire. L’exercice est périlleux quand on voudrait sortir de « J’ai aimé », « Je n’ai pas aimé », « C’est très intéressant », voire « C’est somptueux », ou encore « Votre écriture, cher Olivier, m’interroge » ! Expressions qui vous (l’auteur) laisse Gros-Jean comme devant. Alors, je vous parlerai — sans le qualifier — de mon rapport à ce texte.

Votre reformulation du mythe — que vous faites apparaître dans sa dimension voïvoïdale — est posée simplement : un matériau brut, sobre, disponible qui fait ressortir l’aspect sacré, rituel de cette tragédie habilement déguisée en drame profane et tristement humain. Elle donne à entendre au lecteur — agacé ou fasciné… c’est selon — ces phrases imprécatoires écrites dans une langue moderne avec des mots souvent violents, grossiers, crus. Martelés, ces mots rythment les stations que traverse cet empaleur lubrique, lorsqu’il pressent « l’aubel’horreurfrissonnante ». Surtout, ne pas chercher à comprendre, se laisser guider — puis séduire — par les indices donnés, vaciller dans les absences — voire les trous noirs — se laisser piéger, essuyer les injures.

Perversité des personnages / Perversion de la structure du texte, plié, déplié, replié, redéplié et exploré dans ses fissures — blessures verticales — qui accrochent des pans de lumière, de cette lumière propre à nous éclairer nous-même sur les « appétitions » qui nous guident. Je ne suis pas gênée par votre procédé d’écriture qui consiste à accoler des séries de mots, je le suis par contre par le fait qu’il y a des exceptions : autre perversion ?

On sait que les effets de théâtre sont possibles, en partie, grâce à la présence de processus qui s’apparentent à ceux de la dénégation (Verneinung) : il faut que ce ne soit pas vrai, que nous sachions que ce n’est pas vrai, afin que les images de l’inconscient soient vraiment libres. Le théâtre alors, joue un rôle proprement symbolique. Quand la toile se lève, les puissances imaginaires du Moi sont à la fois libérées et organisées — dominées — par le spectacle. En espérant que les lectures qui seront faites de votre texte par les professionnels de la mise en scène feront que le rideau se lèvera bientôt sur la représentation de : Le voïvode & le chanteur.

Un auteur roumain, Victor Scoradet, dit : « Le public ne va pas au théâtre pour oublier le monde où il vit, mais pour le comprendre ». Et voilà pourquoi votre fille est muette !

Lunel, le 8 mai 2002 Michèle Jung