Sumatra … mai 93

Photo : Jean-Michel Porzyc

Photographie sans titre…

mais située… à Sumatra. Et datée de… mai 93.

La relation que chaque être humain entretient avec l’art demeure une affaire personnelle : il y va du retour à l’origine. Du retour à l’origine… ? À l’originel ? Alors, paysage originel… Oui, si l’on peut dire que « Les espaces originels, ce sont les espaces sentimentaux par quoi nous sommes attachés au monde, les isthmes de mémoire ». Paysage originel… Oui, si photographier, c’est déjà être dans la nostalgie…

Ces considérations posées… Écoute de l’analyste — jamais absolument certaine de comprendre — qui s’impose inlassablement une écriture, avec l’idée et l’espoir d’une lumière venant d’une trace première, toujours déjà là, exposée à être conquise de force, fracturée, rayée. Puis, désir d’écrire pour se dé-prendre de la fascination de l’objet photographié. Pour tenter de dire, de donner, de vous donner — moi aussi — quelque chose, chose de ce “ quelque ” qui n’est pas rien, même si mon ignorance de ce que je vais écrire est grande, quasi nécessaire, voire salutaire. Pas de deux… pas à pas… dans un monologue.

L’exercice est périlleux quand on veut sortir de… « J’aime », « Je n’aime pas », « C’est très intéressant », voire “ Somptueux !”, ou encore « Votre photo m’interpelle… ». Expressions qui vous laissent Gros-Jean comme devant — lui, comme moi !

Mais quelle oreille pourrait entendre ce qui se dit sans parole ? Et l’on se demande : cet autre, obscur, que me veut-il ? Quelle est cette autre part de moi-même qui se dérobe ? L’autre ne répond pas, puisque sa force c’est son point d’opacité.

Alors ? Surtout, ne pas chercher à comprendre, se laisser guider — puis séduire — par les indices donnés, vaciller dans les absences, voire les trous noirs, se laisser piéger, essuyer les embruns… En somme, agir en conformité avec son désir.

Cette photo ne signifie pas et ne représente pas. Elle indique l’existence d’un objet dont elle est la trace réelle. Une trace. Réellement affectée par cet objet. Trace, ou empreinte de l’objet photographié ? Trace de quoi ? Qu’est-ce que le développement du négatif a révélé au photographe qu’il n’avait pas vu ? Un irreprésentable auquel l’agrandissement de la photo a donné forme, dirais-je.

L’écriture de l’analyse est comparable au travail du négatif, d’autant plus que l’exclusion mutuelle de la mémoire et de la conscience ouvre la voie à faire de celle-là le négatif de celle-ci.

Revenons à notre objet. Il est là, posé. inerte dans sa beauté. Statique, et pourtant ça bouge. Il attend. Rien n’altère sa patience. Beaucoup de noirs, des gris clairs et quelques noirs profonds… Noir et blanc. Si, du blanc, aussi. Écriture de lumière. Belle exposition. Deuil impossible. Étrange temporalité.

Voilà ce que je peux écrire aujourd’hui, écrire noir sur blanc, tag d’avant les mots, empreintes de mots qui n’arrivent pas complètement à dire ce qui se perçoit… l’écorce d’un rêve.

Michèle Jung

Avignon, mai 2008