Ein Traum, was sonst ?

« Ein Traum, was sonst ? », dit Kottwitz à Hombourg.

Une réalité, quoi d’autre… ?, ai-je parodié, en sortant de cette soirée théâtrale, le mardi 2 décembre dernier.

Il est des œuvres mythiques, nimbées de souvenirs, de fantômes d’acteurs et d’ombres de metteurs en scène, de polémiques… On ose à peine y toucher, tout juste rêver… C’est le cas du Prince de Hombourg, de Heinrich von Kleist, qui nous raconte un dilemme cornélien. Et, pour le prince de ce soir là (Gilles Chabrier), la salle du Théâtre Jean Vilar de Romans — tous sexes confondus, —avaient les yeux de Chimène. Kleist eut aimé. Il faut vous dire que la mise en scène était de Françoise Maimone.

Dans cette pièce écrite par Heinrich von Kleist en 1811, il n’y a pas le rêve et la réalité. Il n’y a même pas de rêve éveillé. Il y a deux réalités. Et, pour ceux qui se seraient mépris sur le sens du texte, rappelons que, dans cette pièce, nous sommes dans la Prusse de 1811. Nous sommes dans une situation historique sacrée pour les contemporains de Kleist, car c’est à la suite de cette victoire de Fehrbellin, gagnée sur les Suédois, que l’électorat de Brandebourg va devenir la Prusse. Hombourg est-il héroïque d’avoir désobéi ou finalement obéi ? Kleist fait-il une apologie de la raison d’état ou critique t-il l’écrasement de l’individu par le pouvoir ? Les deux. Et c’est ce qui donne force à ce texte. Françoise Maimone l’a utilisé sans souci d’une quelconque dimension politique, elle nous a rendu l’univers de Kleist familier, très loin des clichés. Kleist qui se proclamait lui-même « inexprimable », est effectivement irrécupérable — en « Aucun lieu » et « Nulle part », dirait Christa Wolf.

Françoise Maimone rend simplement hommage à cet héritier des lumières qui explora surtout leur crépuscule, et Gérard Maimone, lui, l’authentifie par ses « Éclats nocturnes ». Piano, violoncelle. Piano solo. La musique avait été, pour Kleist, un secours. Il a même écrit ces mots étranges, : « J’ai, depuis ma jeunesse la plus lointaine, lié aux sons les idées d’ensemble que me donnait l’acte d’écrire. Je pense que la basse continue implique les idées essentielles permettant de concevoir l’art d’écrire. »

La scénographie, de Brigitte Bosse-Platière, crée un lieu unique et intemporel qui structure l’espace dans lequel Kleist règle son « compte avec le monde ». Des lignes pures, sobres, sombres, densifiées par les lumières crépusculaires de Stephan Meynet. Dans la nuit bleu de Prusse, les costumes de Florence Demingeon distinguent chaque personnage. Le prince est un peu à l’étroit dans le sien, comme Kleist dans sa propre vie, tiraillé entre la Loi et le sentiment. Kleist pose en effet, avec plus de cent ans d’avance, la formule que Georges Bataille explicitera, à savoir que les mots disent difficilement ce qu’ils ont pour fin ultime de dire : le mot nie le but qui, sans cesse négativé, permet la relance de la machine pulsionnelle. Ce que Kleist voudrait, c’est un discours qui atteindrait sa cible, c’est un destin de la pulsion où son objet coïnciderait avec son but, c’est un effet de langage où le discours humain ne serait plus discours du manquement, mais discours de l’effectuation, de la réalisation. Ce qui le fait souffrir, fait aussi souffrir ses personnages : isolement, impossibilité de communiquer, impossibilité de saisir par le langage même la vérité de son être propre — vérité pourtant ressentie consciemment à certains moments. La mise en scène de Françoise Maimone a su créer un espace où ce langage, propre à Kleist, puisse être perçu et compris.

La traduction choisie était celle de Pierre Dehusses et Hélène Kuhn. C’est certainement dans ce français là que Kleist aurait pu écrire sa pièce, s’il l’avait écrite dans cette langue qu’il parlait très bien..

Se laisser conduire par les indices donnés, vaciller dans les absences, se laisser piéger, essuyer les orages … oui, j’ai aimé, sans voir le temps passer…

Michèle Jung

Avignon, 8 décembre 2008

Lire la version allemande

Der Prinz von Homburg…

« Ein Traum, was sonst ? » sagt Kottwitz zu Homburg

Eine Realität, was sonst… ?, habe ich diese Replik parodiert, als ich am letzten Dezember diese Theaterveranstaltung verlassen habe.

Es gibt mythische Werke, die durch Erinnerungen, durch Phantome von Schauspielergestalten und durch Schatten von Regisseuren, durch Polemiken, wie mit einem Heiligenschein umgeben sind… Kaum wagt man es, sie anzurühren, gerade nur von ihnen zu träumen. Ein solcher Fall ist das Stück « Der Prinz von Homburg » von Heinrich von Kleist, das uns ein Dilemma erzählt, wie man es bei Corneille finden kann. Für den Prinzen dieses Abends (Gilles Chabrier) hatten alle im Zuschauerraum des Theaters Jean Vilar de Romans — ob Mann oder Frau — die Augen von Chimène. Kleist hätte seinen Gefallen daran gefunden. Es muß noch erwähnt werden, daß die Inszenierung von Françoise Maimone war.

In diesem von Heinrich von Kleist 1811 geschriebenen Stück gibt es nicht den Traum und die Realität. Es gibt nicht einmal Tagtraum, sondern zwei Realitäten.

Für diejenigen, die sich über den tieferen Sinn des Textes getäuscht hätten, möge daran erinnert werden, daß wir, in diesem Stück, in dem Preußen von 1811 sind. Wir befinden uns in einer historischen Situation, die für die Zeitgenossen Kleists heilig ist, denn das Kurfürstentum Brandenburg ist eben in Folge dieses Sieges von Fehrbellin über die Schweden zu Preußen gekommen.

Ist Homburg heroisch, weil er den Gehorsam verweigert hat, oder weil er am Ende gehorcht hat ?

Macht Kleist eine Apologie der Staatsvernunft, oder denunziert er die Vernichtung des Individuums durch die Macht ?

Beides trifft zu — und genau dies verleiht dem Text seine Stärke. Françoise Maimone hat ihn inszeniert, ohne sich um irgendeine politische Dimension zu kümmern. Sie hat uns mit dem Universum Kleists vertraut gemacht, sehr weit entfernt von allen Klischees. Kleist, der sich selbst als « unaussprechlich » bezeichnete, ist nicht zu politischen Zwecken zu benutzen — an « Kein[em] Ort …Nirgends » würde Christa Wolf sagen..

Françoise Maimone huldigt ganz einfach diesem Erben des Aufklärungszeitalters, der vor allem dessen Dämmerung erforschte ; und Gérard Maimone unterstreicht dies mit seinen  » Éclats nocturnes » am Klavier und Cello.

Die Musik war ja für Kleist eine Hilfe gewesen. Er hat sogar folgende seltsame Worte geschrieben :  » … so habe ich, von meiner frühesten Jugend an, alles Allgemeine, was ich über die Dichtkunst gedacht habe, auf Töne bezogen. Ich glaube, daß im Generalbaß die wichtigsten Aufschlüsse über die Dichtkunst enthalten sind » (À Marie von KLEIST, Berlin, été 1811)

Die Szenographie von Brigitte Bosse-Platière schafft einen einzigen und zeitlosen Ort, der den Raum strukturiert, in dem Kleist mit der Welt abrechnet. Reine, einfache, dunkle Linien, die durch die Dämmerbeleuchtung von Stephan Meynet hervorgehoben werden. In der preußischblauen Nacht kennzeichnen die Kostüme von Florenz Demingeon jede Figur. Der Prinz ist etwas eingeengt in dem Seinigen, genauso wie Kleist in seinem eigenen Leben, zwischen Gesetz und Gefühl hin- und hergerissen.

Kleist stellt tatsächlich mehr als einhundert Jahre im voraus, die These auf, die Georges Bataille eindeutig formulieren wird, nämlich dass die Worte schwer ausdrücken, was sie letzten Endes zu sagen haben : das Wort leugnet das Ziel, das — unaufhörlich verneint — der « pulsionnellen » Maschine immer wieder neuen Aufschwung ermöglicht.

Was Kleist wollte, ist eine Rede, die ihr Ziel erreichen würde ; das ist ein Schicksal des Triebes, wo sein Gegenstand mit seinem Ziel zusammenträfe, das ist eine Wirkung der Sprache, wo die menschliche Rede nicht mehr Rede des Wortmangels wäre, sondern Rede von « effectuation », von Verwirklichung. Dies ist jedoch exakt das, woran er leidet und woran auch seine Figuren leiden : Einsamkeit, Unmöglichkeit, etwas mitzuteilen ; Unmöglichkeit mit der Sprache selbst die Wahrheit des eigenen Seins zu erfassen, dennoch wird die Wahrheit in bestimmten Momenten mit Bewußtsein empfunden. Die Inszenierung von Françoise Maimone hat einen Raum geschaffen, in dem diese Sprache, die für Kleist so charakteristisch ist, wahrgenommen und verstanden werden kann.

Als Übersetzung wurde die von Pierre Deshusses und Helene Kuhn. gewählt. Eben in diesem Französisch hätte Kleist sein Stück schreiben können, wenn er es in dieser Sprache — die er sehr gut sprach — geschrieben hätte…

Sich von den gegebenen Hinweisen führen zu lassen, angesichts der Abwesenheiten zu schwanken, sich in die Falle locken zu lassen, Gewitter über sich ergehen zu lassen… ja, das habe ich genossen, ohne zu merken, wie die Zeit vergeht…

Ornella, Avignon, 1er juin 2009

Lire la version française

Hanjo

Hanjo (1956) via Penthesilea (1810)…

Un Nô… « Le drame grec, c’est quelque chose qui arrive. Le Nô, c’est quelqu’un qui arrive ». Quelqu’un. Le Un. Lui. Mais ce Lui-là n’arrivera pas… Car l’attente est le sentiment qui domine Hanjo. L’attente y est énoncée sur tous les tons. La parole lui est toute dédiée. La bande-son, aussi. Et le jeu ? L’est-il ? Lui… dédié à l’attente ?

La mise en scène d’Hanjo, par Philippe Asselin, nous fait entrer dans ce Nô de Mishima qui tient de la psalmodie, de la liturgie, du chant, de la musique, du théâtre et de la danse. Il nous y fait entrer physiquement. Le public, assis sur un siège mobile , évolue sur la scène, mais n’entre pas dans l’espace scénique bordé par une bande blanche : une limite à l’image de cette bande de graviers blancs qui — dans la tradition du Nô — rappelle les jardins Zen. À la lumière du jour, cette bande de graviers blancs servait à réfléchir la lumière sur les masques de comédiens. Ici, elle est la limite à ne pas franchir. Elle est le lieu où se joue l’ombre apportée au texte par l’auditeur qui écoute et se tait. Silencieux, il l’est de bien plus loin encore, d’un ailleurs passant par l’inouï. Pour structurer ce qu’il croit entendre, le spectateur se déplace sur le plateau… Au Un par Un. Chaque Un va, vient, repart, ne revient pas… Le Un parti, Un autre arrive. Que déposent ces Un dans cette trace ? L’énergie du spectacle est également là, en attente, dans cette chorégraphie imprévisible de la « spectature » .

La tragédie de l’impossibilité d’une réalisation totale et entière se lit sur le visage de la comédienne — Nathalie Le Corre. Elle dit. Elle se laisse dire. Elle offre des temps d’abstinence. Quelqu’Un va venir. Elle le sait. Cet ex-il en fuite, elle l’attend, tapie dans l’ombre de la folie. De cette contrée, elle ne reviendra pas. Fascinée par l’image, elle ferme les yeux pour retenir l’objet de son désir, mais le visage qu’elle a devant les yeux n’est plus celui de Yoshio… D’où se souvient-elle ? De quoi ? De qui ? Un silence aux yeux secs tombe sur l’assistance. On n’osera pas applaudir.

Comme dans la tradition du Nô d’hier, le maquillage de Gilles Vérièpe se fera dans la « coulisse », hors-scène. Il ne dissimulera pas son visage, mais révèlera les traits de l’absent, tels qu’ils commencent à naître dans l’imaginaire de Hanako.

Dans une autre coulisse, à l’opposé, hors-scène également, un très grand miroir sera le point où convergent les images des spectateurs. Ce pourrait être l’image d’un toit qui forme un angle avec un des bords du plateau : le Hashigakari de la scène du Nô.

Une autre image du lointain s’y reflète… Une prothèse. Est-ce le corps de Mishima que la comédienne tente de se re-mémorer — de ce corps morcelé qui aura toujours manqué à s’unifier — lorsqu’elle manipule la poupée de Claude Roche ? Elle manipule cette « machine désirante », à l’instar de son propre désir qui se nourrit du manque, de l’absence, de ce que Lacan nomme La Chose… Elle démembre ce corps-sans-organes. Ce corps-symbole qui n’est plus qu’un dé-s-ensemble de membres, d’articulations, d’orifices, de bosses ou de creux, de morceaux. Pièces détachables, à l’image des mots-objets proférés, parés de toute la violence de leur éclatement, dont la vibration purement mécanique touche étrangement le mot suivant, mais s’éteint aussitôt.

Le public pressent un moment d’une rare beauté… Mishima sait user d’un pouvoir structurel, celui de transmuer la souffrance en jouissance, et le manque en plénitude… Ne serait-ce pas aussi la vocation de l’art ? Alors l’Art… Die Kunst… Dans ses premiers rapports professionnels avec la littérature, Freud ne lui demande que des illustrations et des confirmations pour ses hypothèses de clinicien. Survient un deuxième temps où il se tourne vers le processus créateur lui-même, dans l’espoir d’en saisir le secret. Face à l’œuvre, il se déclare incompétent pour définir l’essence de l’art, « forme belle au désir interdit ».

« Forme belle au désir interdit » ! Qu’avez-vous entendu ? La mère… Mais oui, c’est ça… La mère, forme belle au désir interdit.

Ornella, Avignon, le 21 juin 2009

Après coup …

Après coup… des trous, des bords, des pleins…

Ce que j’ai tenté d’analyser — lors de ma lecture de Le tour d’écrou d’Henry James — c’est comment j’y suis entrée et comment il m’est arrivé de m’y perdre, pour mieux m’y retrouver au long de nos soirées de réflexion. Celles-ci m’indiquant quels signifiants circulaient — pour ce que j’entendais — dans les entrelacs, lors des interventions de chaque « Un ». Wenn ein Psychoanalytiker öffentlich spricht, wer spricht… ? Question posée…

Au fil de ce travail, de ma lecture aussi, je me suis particulièrement arrêtée sur des il(s), des ça, des moi… J’y entendais le « es » allemand. Ce « es » — qui n’est ni « il » ni « on », mais des ça, ou des cela.

Je citerai seulement ceux rencontrés en page 101, au chapitre 14, là où les choses se précipitent (j’entends bien ce mot !) :

J’ai déjà oublié pourquoi tu l’avais fait. Ich habe schon vergessen, warum du es gemacht hattest.

C’était juste pour vous montrer que je pouvais le faire. Das war nur, um Ihnen zu zeigen, daß ich es machen konnte.

Et je pourrais le faire de nouveau. Und ich könnte es wieder machen.

Certainement. Mais tu ne le feras pas. Sicherlich. Aber du wirst es nicht machen.

Non, pas de nouveau ça. Ce n’était rien. Nein, nicht wieder das. Das war nichts.

Ce n’était rien, répétais-je. Das war nichts…

Ce « es  » — je l’ai mis au travail pour retrouver les signifiants et le sujet de ce qui fait sculpture analytique de ce texte. En voici quelques trace. Ce ne sont que des traces :

Dans son Séminaire Logique du fantasme (1966-1967), Lacan dit que « le Ça est une pensée mordue de quelque chose qui est, non pas le retour de l’être, mais d’un d-és-être . De même, l’inexistence au niveau de l’inconscient est quelque chose qui est mordu d’un je pense qui n’est pas « je » : « Es denkt in mir » , dit-on en allemand. Et ce « il pense » — qui n’est pas « il » — je peux le rapprocher d’un « Ça », et je le relève comme un « Ça pense».

Pour Freud, les expériences du moi, si elles se succèdent de génération en génération, se transposent en expériences du « ça », qui hébergent les restes innombrables du « moi »… … « moi », « ça », Das Ich und das Es, Freud, 1923.

Le modèle de l’inconscient c’est donc un « Ça pense » — certes, mais à condition que l’on s’aperçoive qu’il ne s’agit de nul être, sinon c’est un court-circuit et une erreur, quelque chose qui ne donne pas assez de relief au « Ça » dont il s’agit.

Citons encore Lacan : « (…) le « Ça » dont il s’agit n’est assurément bien sûr d’aucune façon la première personne…, le « Ça » n’est ni la première, ni la seconde personne, ni la troisième. La troisième serait celle dont on parle. (…) Le « Ça » dont il s’agit est ce qui, dans le discours, en tant que structure logique, est tout ce qui n’est pas je ». Façon de dire qu’au « Cogito ergo sum », il substitue un « Cogito, ergo es ».

J’ai mis aussi ce « es » au travail avec ses homophonies : Es (sujet neutre) — « traces mnémiques » jadis perceptions, charges psychiques, reviviscences, restes visuels, ou, « Gedächtnis — im psychoanalytischen Sinn des Wortes — bedeutet eine versteckte Arbeit von Speicherung und Entstellung der Spuren vergangener Ereignisse » . S barré (sujet barré), S du signifiant, S : fricative dentale sourde… Es (E-S) — mi bémol et… si le bémol abaisse le son de la note d’un demi-ton, c’est le mi de mi-dire qui, dans l’univers du discours, désigne ce qui est à moitié dit ou… à moitié tu (un tu qui n’est pas « tu »). Nous l’appellerons une suspension — pour ne pas dire une cassure — entre dit et mi, un contretemps qui prend son sens tant du côté de l’inconscient que du côté du Ça — forme syncopée de « cela » à l’ouïe du violon.

Le 17 janvier 1962, Lacan avance que « dans l’acte de parole, le sujet se constitue comme un étant ayant été : « ein Gewesen » qu’il rapproche de l’adage freudien :

« Wo Es war, soll Ich werden »

Allez savoir pourquoi, me voici à re-lire les 4 discours de Lacan — en allemand ! Pourquoi ? Je pense… enfin… « es denkt in mir » que les quatre discours montrent toutes les constellations des rapports fondamentaux qui peuvent exister quand le sujet parle à un autre. Der Herrensignifikant, S1 Die Signifikantenkette, das Wissen, S2 Das gespaltene Subjekt, das Subjekt (des Unbewußten), S barré « a » : die Mehrlust

Die Lancanschen vier Diskurse ergeben sich durch Rotation der Terme über die vier feststehenden Plätze : jeveils ein Vierteldrehung ergibt einen anderen Diskurs.

Si on s’y amusait… les dés sont jetés…

Avignon, le 15 juin 2009 Michèle Jung

Feux

« Feux », Trois pièces courtes d’August Stramm.

Malgré les remarquables traductions de ses pièces qu’ont faites récemment Huguette et René Radrizzani, nous connaissons peu August Stramm. Cet Allemand d’Alsace, au temps où l’Alsace n’était pas française, meurt à quarante et un ans, en 1915 : soldat de l’armée germanique, il est tué sur le front russe, dans les marécages de Rokitno. Son oeuvre est étrange, révoltée, obsédée par un érotisme frénétique qui met à mal les conventions sociales, et qui le range parmi les expressionnistes. Les metteurs en scène Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma, qui travaillent en duo, ont su faire un ensemble à la fois divers et uni, à partir de trois petites pièces réunies sous le titre de « Feux ». C’est une production de la Maison de la Culture d’Amiens. Rendons à César…

Au moment où August Stramm meurt, Freud écrit « Zeitgemäßes über Krieg und Tod » (Considérations actuelles sur la guerre et. la mort). Et, personnellement, c’est là que je veux situer Sramm : au cœur de la psychanalyse. Les trois pièces : « Rudimentaire » (1912), « La fiancée des landes » (1913) et « Forces » (1915) que nous voyons ce soir du mercredi 7 juillet, au Festival d’Avignon, traitent des rapports amoureux, sans complaisance et sans jugement moral, à la manière d’un psychanalyste — sans divan (Quoique. Il y a un lit ou un canapé, dans chacune des scénographies). On se croirait à la Salpêtrière dans le laboratoire de Charcot : les pulsions, la sexualité, le désir, l’impuissance, les mouvements inconscients qui animent les femmes et les hommes de ces pièces dans leurs rapports intimes, dans leur rapport au pouvoir donc, sont étranges. Étrange, au sens de « unheimlich ». L’inquiétante étrangeté. « Das Unheimliche ». Leurs rapports intimes et charnels à ce qui ne peut pas se dire, à ce qui ne peut pas se montrer, sont disséqués au scalpel, examinés comme sous une loupe, dans un dispositif scénique alliant transparence et lumière. Pour traduire la violence des forces qui traversent les protagonistes, Stramm invente un style rigoureux, fondé sur une radicale économie des mots (comme dans un protocole), sur un jeu — aussi — car le moindre geste des acteurs est inscrit dans les didascalies (« Cri, rire, épuisement, absence, incompréhention », est-il précisé, dans « Forces », pour exemple).

Dans la première comédie, un couple assez mal assorti se réveille, persuadé d’avoir échappé à la mort par asphyxie, puisque l’un d’eux avait ouvert le gaz la veille. Ils peuvent recommencer le coït et les querelles, inattentifs à la mort du bébé qui s’est produite pendant la nuit. Dans la seconde pièce — aussi silencieuse que la précédente était criarde — une femme, cernée par son entourage et sa famille, voit sa solitude brisée et réagit par le meurtre. Dans la troisième pièce, l’érotisme est campé en milieu bourgeois. C’est une danse de pouvoir, d’amour et de mort qu’interprète une jeune femme mariée, se moquant de son mari et entraînant dans ses pas l’ami de sa rivale…

Ce fragment d’un poème de Stramm, poème intitulé « Lutte amoureuse », illustre pour moi, ce que j’ai ressenti…

Das Wollen steht Du fliehst und fliehst Nicht halten Suchen nicht Ich Will Dich Nicht! Das Wollen steht Und reißt die Wände nieder Das Wollen steht Und ebbt die Ströme ab Das Wollen steht Und schrumpft die Meilen in sich Das Wollen steht Und keucht und keucht Und keucht Vor dir! Vor dir Und hassen Vor dir Und wehren Vor dir Und beugen sich Und Sinken Treten Streicheln Fluchen Segnen (…) »

Ornella, Avignon, le 23 août 2008

Ordet, La Parole

Ordet (La Parole, en danois). De Kaj Munk. Traduction Marie Darrieussecq. Mise en scène Arthur Nauziciel.

Ordet apparaît aujourd’hui comme une pièce aux limites du mysticisme, et comme une formidable réflexion sur les forces de vie qui, dans chaque existence d’homme, s’opposent aux forces de mort. Il faut vivre encore et toujours, se battre encore et toujours, aimer encore et toujours… pour ne plus être inconsolable face à l’inexorable dénouement.

En ce 9 juillet 2008, nous sommes dans la Cour intérieure de l’école d’Art, le foyer des spectateurs du 62e Festival d’Avignon. À la tribune : Arthur Nauziciel. accompagné de Catherine Vuillez (Inger) et de Benoît Giros (le docteur) vont répondre à nos questions.Car, hier soir, nous avons vu « Ordet » au Cloître des Carmes.

Tout d’abord, les spectateurs ont — pour la plupart — vu et aimé le spectacle, et ils le disent tous en préambule. Ils ont aimé le texte (même si l’un d’entre eux l’a trouvé « ringard »), la mise en scène, la distribution, l’Ensemble Organum, la chorégraphie de la procession, l’adaptation de Marie Darrieussecq.

L’adaptation… justement. Marie D. n’a pas cherché à « faire » contemporain. Elle a cherché à créer une langue pour le théâtre et non pour une conversation. Elle a cherché à travailler la langue pour que les mots prononcés puissent être portés par l’imaginaire des acteurs et par celui des spectateurs. « Étrange », dit un spectateur. « Être ange !» , dit Arthur N.

La religion… Une spectatrice dit : « Je venais trouver cet amour humain dont la presse avait parlé, je n’ai trouvé qu’une pièce religieuse… ». Son voisin, lui, a vu exactement l’inverse : le thème central n’étant pas la religion mais la foi. La foi en la vie. Un peu après, Arthur N. dira : ne confondons pas laïc et athée. Oui, tout est dans ces nuances, essentielles, car nous sommes des êtres de langage. Et la langue… la parole… le Verbe… Ordet. Un spectateur, qui s’« excuse » d’être théologien, nous parle du rôle interprété par Pascal Greggory (Mikkel Borgen, père). Belle, très belle réflexion.

Puis, pourquoi aux Carmes, alors que la Cour avait été proposée à Arthur N. ? Justement, parce que dans La Cour, devant ce grand mur, les acteurs auraient été de petits personnages soumis au divin. Aux Carmes, ils sont dans un rapport quasi horizontal avec Dieu : l’espace du Cloître des Carmes permettait la circulation de la parole entre la scène et la salle.

Il est aussi question du film de Dreyer. Arthur N. dit : « Le cinéma c’est la mort au travail. Le théâtre, c’est la résurrection ». De la résurrection, il en sera beaucoup question. Des miracles. De la souffrance. De la croyance, aussi.

De la croyance… Octave Mannoni avait porté un regard psychanalytique sur cette notion, c’était dans son célèbre article : « Je sais bien, mais quand même… ». Ce fut pour moi, après cette causerie, un plaisir de le relire ; de relire aussi, par association, ce qu’il écrivait sur ce qui soutient la croyance des spectateurs au théâtre.

Ce que j’aimerais souligner aujourd’hui, c’est que Kaj Munk est né en 1898, qu’il écrit Ordet en 1925, qu’après l’invasion du Danemark en 1940, il devient un farouche opposant au nazisme, et qu’il sera arrêté et exécuté par la Gestapo en 1944. En regard — et pour « justifier » mon retour à la psychanalyse, j’aimerais souligner que Freud emploie pour la première fois le terme de psychanalyse en 1896, que c’est sur « die Verleugnung » qu’il écrit en 1927 que Mannoni s’appuie pour écrire l’article sus-cité, et qu’en 1938 il devra se réfugier à Londres pour fuir le régime nazi. Coïncidences…

Ce 62e Festival a commis d’autres auteurs qui ont écrit au moment où Freud mettait ses observations en mots. Pour l’illustrer, j’espère avoir le temps d’écrire une « critique » sur August Stramm et ses « Feux ».

Michèle Jung, Avignon juillet 2008

Early Morning

Early Morning d’Edward Bond Par la Compagnie « La Paloma » Mise en œuvre : Thomas Fourneau

Episode one, les 1er et 2 avril 2008, à Marseille. Chantier ouvert au public. L’intégrale sera donnée en mai 2009, au Théâtre de la Minoterie.

Lorsque la pièce fut créée à Londres, en 1965, ce fut un beau scandale. Les Britanniques admettent les turpitudes de leurs anciens rois quand c’est Shakespeare qui en parle, mais qu’Edward Bond — célèbre en Angleterre surtout par les scandales qu’il a provoqués — insulte la mémoire de l’Impératrice des Indes dont la statue trône devant Buckingham Palace ! Schoking ! Et… censure ! Si, si, décret royal. Comment admettre, au royaume de Sa Majesté, qu’une famille ultra-bourgeoise puisse tramer d’horribles complots pour assassiner un ou plusieurs membres de la famille royale, pendant que la « Veuve de Windsor » se livre aux délices de Gomorrhe avec Florence Nightingale, qu’elle débauche et déguise en cocher écossais à moustache en la suppliant de l’appeler Victor… On-ne-rit-pas ! Et pourtant…

À « Montevideo », en ce premier avril 2008, nous fûmes donc les spectateurs premiers de ce spectacle en chantier. On nous introduisit dans la salle de spectacle où le Théâtre des Bernardines fait escale pendant travaux. Plateau nu — comme le souhaitait Bond — afin que l’essentiel se passe dans le jeu des comédiens. Si « découvreurs » nous étions, la Compagnie « La Paloma » peut être satisfaite. La salle — comble — n’a pas décroché pendant cette heure quarante cinq, et elle a ri de ces effroyables plaisanteries macabres, assaisonnées de sauce métaphysique et d’infinis. Elle a ri de cette fantaisie baroque remarquablement orchestrée, chorégraphiée et jouée. Jouée comme l’ouverture d’un opéra ? Qui opéra ! Adhésion du public. Totale. Il n’y avait pas eu la même unanimité, lors de sa création en France. Souvenez-vous : Avignon 70, Georges Wilson, Maria Casarès, José-Maria Flotats dans le rôle du Prince Arthur… J’en ai personnellement un souvenir très précis, d’autant que c’était ma première entrée dans La Cour.

Michèle Jung

Avignon, avril 2008

Jagdszenen

« Ce soir, par permission spéciale, Penthesilea, pièce canine. Personnages : des héros, des roquets, des femmes. Aux tendres cœurs affectueusement dédié ! Aidée de sa meute, elle déchire celui qu’elle aime, et le dévore, poil et peau, jusqu’au bout. »

(Épigramme de Kleist, présentant Penthesilea, dans Le Phöbus, avril 1808).

Ce soir ? C’était le vendredi 27 mars dernier. Création mondiale de l’opéra de René Koering. Et c’était : « Scènes de chasse ». Elles n’étaient pas en Bavière…, mais au Corum — à Montpellier. Et l’épigramme de Kleist, cité plus haut, est là pour nous indiquer que ce qui était en jeu « Ce soir », étaient les amourres d’Achille et Penthésilée. Achille~et… Penthésilée. Une paronomase.

« Ce soir » ? C’est de la musique, composée par René Koering, dont j’ai envie de parler. Parler de la musique… !? Dire d’abord… qu’elle s’inspire directement de la réalité théâtrale de la langue Kleist — une langue extrêmement musicale qui porte la violence en elle-même, une violence rythmique. C’est cette violence qui s’exprime dans de la musique extrêmement complexe sur le plan harmonique, dans des phrases qui se croisent constamment : Penthésilée et Achille sont dédoublés, clivés — un acteur et un chanteur pour deux langues, le français et l’allemand. C’est cette violence qui s’exprime dans des phrases créant parfois l’impression d’un vide, d’un abîme prodigieux semblable à celui qui se trouve dans la tête de l’amazone au moment où elle commet l’acte le plus horrible. Car, « Ce soir », le suicide irreprésentable de Penthésilée va être traduit dramatiquement et pas tragiquement… vertical et horizontal. Une ligne horizontale pour le temps qui passe. Une ligne verticale pour ce qui se passe en même temps. C’est simple, non ? C’est simple, comme l’est la grande musique.

Dire ensuite… la quinte, vide total musical. Nous ne sommes pas dans la lexique du poker ! Mais dans la diapente. L’enharmonie n’est alors plus possible… Do #. Ré b. Alors, quels rapports entre les intervalles ? Quels rapports entre Achille et Penthésilée ? Pour les révéler, René Koering environne Penthésilée des sonances de la quinte. Malaise. Rugosité dans la superposition des sons. Dissonance autour de laquelle s’agglutinent confusément des perceptions de nature très variées. Discordance… Sublime, forcément sublime. Tout ceci est remarquablement orchestré par Georges Lavaudant sur le plan scénographique, et Alain Altinoglu sur le plan musical.

Dire enfin… avec Heinrich von Kleist : « Le chérubin est derrière nous… ». Le chérubin… L’ange… J’ai peut-être vu le bout de son nez sur la scène du Corum ce vendredi là… J’ai cru voir une aile séraphique posée sur l’épaule de Dörte Lyssewski, c’était au tiers de l’heure, elle traversait le plateau, se dirigeait vers Achille, sans hostilité, le cœur à fleur de peau, sans affectation. Elle était là, juste, au plus près de lui — l’aimé — au plus près d’elle même, dans une béance entre le désir et la jouissance. Un moment… rare.

Michèle Jung, Avignon, le onze mars 2008

Avignonade 2

École d’Art. Foyer des spectateurs et des artistes. Le 25 juillet à 11h30. Avec Jean-François Sivadier et les membres de l’équipe artistique du Roi Lear. Animé par Les Ceméa.

Nous sommes dans la Cour intérieure de l’école d’Art. Trois espaces. Celui des « studieux », sages sur les bancs. Celui des « vacanciers », décontractés, ils ont quitté le bar avec leur verre et leur journal du jour, et se sont installés aux tables rondes, au fond. Celui de la tribune : petites tables carrées et chaises en bois naturel, coussins multicolores, pot à eau et verres à bulles colorées, micros… on sent la qualité de l’accueil Ceméa. D’ailleurs, Jacques Manceau se promène dans les travées, souriant, l’œil prêt à entendre la place qui pourrait manquer à chacun.

Car ici, ce matin, on s’installe, on se serre : il y a foule lorsque Jean-François Sivadier arrive avec trois comparses. Foule. Alors… ce public. Retraité ! Jeunes et vieux, mais… retraités ! Un spectateur, d’ailleurs, le fera remarquer : on est vieux dans cette assemblée, pourrait-on entendre un jeune s’exprimer ? Un jeune homme prendra le micro, avec beaucoup d’hésitation, de réflexion, puis d’émotion, « Je vous aime », dira-t-il en direction des artistes. Nous l’applaudirons. Un autre (moins « jeune ») dira : « Je n’ai pas aimé tout de suite, mais ce matin, en y repensant, j’ai pleuré devant mon café ».

Il y aura beaucoup, beaucoup de questions. Tout d’abord, les spectateurs ont, pour la plupart, vu et aimé le spectacle, et ils le disent tous en préambule. Puis, ils veulent peaufiner leur compréhension des codes : – Pourquoi, ce décor dépouillé dans la seconde partie ? – L’âge du comédien qui interprète « Le Roi Lear »… – Pourquoi cette tempête tirée vers le dérisoire ? – Pourquoi n’en avez-vous pas fait une tragédie ? » – Votre intention de faire jouer des rôles inversés (Kent joué par une femme…) – Le choix de cette traduction ? – Quels sont vos « modèles », même si vous les transgressez ? – Vous avez dit sur France-Info que c’était un opéra anthropologique…

On ne questionnera pas la psychanalyse… Les questions traversaient pourtant les champs du politique, du désir, de la folie, de la paternité avec la même force que ce qui a interpellé Freud et qu’il a traité dans « L’inquiétante étrangeté » en 1913. C’est ce qui a permis — nous le pensons — à Jean-François Sivadier de représenter l’irreprésentable, de nous donner un spectacle à la hauteur de la démesure de cette histoire, de nous permettre d’entendre le final de Lear comme nous ne l’avions encore jamais entendu.

Michèle Jung, Avignon, le 25 juillet 2007