Todestag…

Voguer vers l'Île aux Paons. Photo Michèle Jung

Voguer vers l'Île aux Paons. Photo Michèle Jung

Le mercredi 20 novembre 1811, entre deux et trois heures de l’après-midi, un couple descend d’une calèche devant une auberge de Potsdam, près du Wannsee. Le temps est gris et brumeux en cette saison, les aubergistes de la « Neuer Krug » n’ont guère de clients. Ces deux-ci — un homme et une femme — demandent deux chambres contiguës à Madame Stimming. Ils y déposent leurs rares bagages, et sortent se promener. Comme il n’existe pas de bateau pour traverser le Petit-Wannsee, ils contournent à pied l’une de ses boucles, le jour tombe, le brouillard jette des ombres à la surface du lac. À leur retour, ils commandent un repas léger, de quoi écrire et de quoi s’éclairer. Chacun gagne alors sa chambre où Riebisch, un garçon de l’auberge, a allumé du feu. Dans la soirée, ils descendent boire un café. Tard dans la nuit, ils vont et viennent encore dans leurs chambres en buvant du vin et du rhum, ils écrivent aussi.

Vers quatre heures du matin, Henriette Vogel, puisque c’est elle, descend commander du café, puis encore à sept heures. Dans la matinée, Heinrich von Kleist, puisque c’est lui, paye la note et, précisant qu’ils ne déjeuneront pas à midi, il commande deux lits supplémentaires et établit un menu à l’intention de deux invités qu’ils auront le soir. Peu avant midi, ils dépêchent un commissionnaire à Berlin pour qu’il y porte une lettre, ils remontent dans leur chambre après avoir bu quelques tasses de bouillon. Vers quatorze heures, ils bavardent avec l’aubergiste et lui demandent, en particulier, où se trouvent les Îles aux Paons qu’ils souhaiteraient visiter, mais avant, disent-ils, ils auraient beaucoup de plaisir à prendre le café au bord du lac. Vu la saison, la demande est étrange, et l’endroit choisi se trouve à cinq cents mètres de l’auberge ! Kleist fait remarquer qu’il paiera pour la peine et voudrait qu’on ajoute, pour lui, huit « Groschen » de rhum car la brume commence à tomber et il fait froid. Stimming accepte. Il fait transporter là-bas une table et deux chaises. À trois heures, sa servante s’y rend avec le café, comme prévu. Le couple, joyeux, s’amuse à lancer des pierres qu’il fait ricocher à la surface de l’eau. La servante s’éloigne, elle entend alors deux détonations. Quand elle revient, elle découvre deux corps l’un près de l’autre : la dame, revêtue d’une robe de batiste blanc, d’une fine tunique bleue en crêpe et de gants blancs en chevreau glacé, a une tache de sang sous le sein gauche ; son compagnon, habillé d’une redingote de drap marron, d’une veste de batiste, d’une culotte de drap gris et de bottes, a le visage maculé de sang autour de la bouche. Le soleil s’est couché, à l’horizon un mur de brouillard s’élève — gris-bleu au-dessus de l’eau et des arbres, jaune flamboyant plus haut dans le ciel…

L’annonce de ces deux coups de feu sort le monde littéraire de l’indifférence à l’égard de Kleist.

Michèle Jung, Avignon, 21 novembre 2014

La Chair de Felani…

 

Photo : Anna David

 

Tout a commencé un matin de printemps par un coup de cisaille sur un barbelé… et fini un soir d’automne par un coup de pioche sur un mur. Entre les deux, l’Histoire a vacillé, puis basculé…

Ce 9 décembre, nous fêtons les 25 ans de la chute du Mur de Berlin qui mesurait 165,7 km, coupait 32 voies ferrées, 3 autoroutes et des dizaines de rivières !

Hier matin, sur France Culture, Thomas Cluzel, nous disait qu’il existe — encore aujourd’hui — près d’une cinquantaine de murs, et pas seulement autour d’Etats dictatoriaux ou placés au ban des nations. Autrement dit, au moment même où l’Allemagne s’apprête à célébrer ce 25e anniversaire, les symboles de séparation, eux, prolifèrent plus que jamais : un monde de barrières de protection, à la fois militaire, anti-terroriste ou anti-immigration.

Prenez, je vous prie, cinq minutes de votre temps pour écouter cet éditorial,

qui vous donnera la clé du titre de ce billet.

Michèle Jung

En finir avec…

Hélène Arnal. "Dessins de la colère" (1,20-1,10)

Hélène Arnal. "Dessins de la colère" (1,20-1,10)

 

… avec Eddy Bellegueule, c’est le premier roman d’Édouard LOUIS, un jeune homme de 21 ans, étudiant en sociologie à Normale-Sup. ; il dirige la collection « Des mots » aux Presses Universitaires de France. C’est son premier roman, mais il a déjà publié Pierre Bourdieu, l’insoumission en héritage (PUF, 2014). «Aux âmes bien nées, disait Corneille, la valeur n’attend pas le nombre des années.» … !

En finir avec Eddy Bellegueule — l’insoumis, l’insurgé contre ses parents, contre la pauvreté, contre sa classe sociale raciste et violente — est un geste d’insurrection par l’écriture. La lecture de Marguerite Duras, de Didier Éribon, de Pierre Bourdieu… permet à Édouard Louis de réaliser que la violence est produite par des structures sociales, et de mettre en écriture cette violence au quotidien dont il est victime. Il peut alors envisager la fuite comme solution : « Moi qui ne pouvais être l’un des leurs, je devais tout rejeter de ce monde », la fuite devient pour lui un acte révolutionnaire et non une lâcheté.

En tant que psychanalyste, cette lecture m’a amenée à me poser la question différemment. J’en ai profité pour relire huit récits cliniques, où Pierre Kammerer (psychanalyste) relate la cure psychanalytique d’adultes qui ont subi, dans l’enfance, la haine de ceux qui étaient censés les aimer, leur père ou leur mère. Ce qui caractérise ces patients, c’est l’aveuglement dans lequel ils se sont enfermés pour ne pas démasquer la perversion d’un parent dont ils ne désespéraient pas d’être aimés. Pierre Kammerer parle d’une «clinique du témoin» où l’analyste réintroduit la Loi Symbolique (interdit du meurtre, de l’inceste…), prenant ainsi la place de l’autre parent, celui qui, au moment du trauma, s’était absenté alors qu’il aurait dû l’empêcher. (Cf. L’enfant et ses meurtriers. Psychanalyse de la haine et de l’aveuglement, Gallimard 2014).

En Avignon-Festival, dans le Off, on peut voir Retour à Reims de Didier Eribbon, le récit de ses retrouvailles avec sa famille d’origine ouvrière dont il s’était détourné pendant plus de trente ans :

http://culturebox.francetvinfo.fr/festivals/avignon-off/off-davignon-on-court-voir-ladaptation-du-retour-a-reims-de-didier-eribon-159939

Michèle Jung, Avignon, juillet 2014

 

 

 

 

Kleist in Avignon…

BühnenskizzeWangelinLpz1969

BühnenskizzeWangelinLpz1969

Maison Jean Vilar

7 juillet 2014, 11h30

Giorgio Barberio Corsetti et Le Prince de Hombourg 

À cette date, Corsetti aura osé affronter Hombourg dans la cour d’honneur sans Gérard Philipe ! Ses interprètes — Xavier Gallais, Anne Alvaro… — auront offert une vie nouvelle au prince somnambule, homme d’action et de cœur, et seront sans aucun doute l’objet de débats passionnés.

Je conduirai cette rencontre après avoir resitué Le Prince de Hombourg dans le contexte prussien de son écriture, puis dans sa récupération par le régime National Socialiste, enfin dans ses différentes versions scéniques en R.D.A. jusqu’à sa « libération » par Jean Vilar… et par Giogio Barberio Corsetti, 63 ans plus tard !

Par ailleurs, dans l’exposition consacrée à la mise en scène du Prince de Hombourg par Jean Vilar en 1951 — exposition qui occupera le Hall de la Maison — vous découvrirez des documents sur des mises en scène allemandes (de l’Est et de l’Ouest) qui ont eu lieu entre 1959-2013. Elles nous ont été envoyées par le Kleist-Museum de Frankfurt sur l’Oder. (Ville natale de Kleist).

Michèle Jung, Avignon

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Evidence…

 

Photo : Michèle Jung

Photo : Michèle Jung

 

Der chinesische zeitgenössische Künstler Ai Weiwei zeigt seine weltweit größte Einzelausstellung im Martin-Gropius-Bau (Berlin) in 18 Räumen auf 3000 Quadrat meter, sowie im spektakulären Lichthof.

In diesem Lichthof montiert der Künstler 6 000 einfache hölzerne Stühle (Stools, 2014), wie sie auf dem Land seit der Ming-Zeit (1368-1644) Verwendung finden : ein eindrucksvoll ästhetisches, pixelartiges Werk (Voir photo ci-dessus).

Evidence… ist der Titel dieser politischen Ausstellung, wo Ai Weiwei, der Künstler, Architekt und Politiker ist, sich nicht mundtot machen lässt. Seine Konzeptkunst ist revolutionär für China, ein Land, das den Künstlern bis dahin nur bestimmte Ausdrucksformen gestattete.

Noch darf der 56-Jährige allerdings nicht ausreisen aus China. Sein Reisepass wurde ihm abgenommen. So bleibt er ein Gefangener im eigenen Land !

 

Ornella, Berlin, 4 avril 2014

Schreiben, um die Rede…

 

Photo : Anna David

Psychoanalytisches Seminar Kunst & Klinik

 

Die Struktur der Perversion im Licht des Kinos und der Literatur.

Was kann die Kunst der psychoanalytischen Klinik beibringen ? Jenseits einer bloßen Anwendung der Psychoanalyse auf die Kunst werden Kunstwerke als Gelegenheit genommen, die Praxis der Psychoanalyse – sowie ihre Theorie – zu hinterfragen, zu illustrieren, zu bereichern, zu erweitern.

Als Thema für 2013 und 2014 wurde „Perversion“ gewählt : Was ist eigentlich mit Perversion gemeint?

Geht es um eine Abweichung von der „normalen“ Sexualität, um eine jedem inhärente sexuelle Verhaltensweise, um die Struktur einer Beziehung zum a/Anderen ?

Das Seminar soll sich im Monatsrhythmus abwechselnd mit Film und Literatur beschäftigen.


Leitung

Literaturabend, Sandrine Aumercier

Filmabend, Lic. Alejandra Barron


Termin
Literaturabend, den 5. April

18 Uhr

Penthesilea von Heinrich von Kleist.

Vortrag von Michèle Jung : „Schreiben, um die Rede wieder aufzunehmen“

(Ecrire pour reprendre la parole)

www.kleist.fr


Ort

Psychoanalytische Bibliothek Berlin

Hardenbergstr. 9, 10623 Berlin

Eingang links, Hinterhaus, Erdgeschoss.

www.psybi-berlin.de


Écrire pour reprendre la parole…

Photo : Anna David

 

Dans le cadre du Séminaire Kunst & Klinik

de Sandrine Aumercier et Alejandra Barron

(Freud-Lacan-Gesellschaft Berlin)

 

Après avoir défini la perversion comme un mode d’organisation psychique, une structure — où les apports du langage sont fondamentalement pervertis, après avoir montré les rapports que le pervers entretient avec la Loi, nous émettons l’hypothèse que Kleist avait tous les atouts dans son jeu — le « Je » de la parole ? — pour se structurer sur le mode pervers. Et si l’écriture, comme nous le pensons, est de nature à porter les traits de perversion, nous examinerons si tel est le cas dans l’écriture de Kleist.

Il ne s’agit pas de faire une psychanalyse de l’auteur, mais de voir les schémas inconscients et les fantasmes qui sont à l’œuvre dans Penthesilea, l’intrigue étant la transposition de son fantasme, le style exprimant ses défenses.

 

Dr Michèle Jung

Psychanalyste

06 82 57 36 68

 

Cet exposé aura lieu :

le samedi 5 avril 2014, à 18 heures

Psychoanalytische Bibliothek Berlin – Ort für Forschung und Praxis nach Freud und Lacan e. V.

 Hardenbergstr. 9, 10623 Berlin (Hinterhaus, Erdgeschoss).

U2 Ernst-Reuter-Platz – S Savignyplatz – S, U2, U9 Zoologischer Garten (www.psybi-berlin.de)

Séminaire 2014

Freud et son père en 1864

Ein unheimliches Schweigen…

Freud se sent encerclé (« coffré », dit-il) dans « Vienne ». Il s’y trouve mal à son aise. Es ist ihm unheimlich. Das Unheimliche se situant au cœur du monde de l’enfance, il est curieux que Freud passe littéralement d’un trait de plume sur ses quatre premières années : l’unheimliches Schweigen (l’impressionnant silence). Alors, retourner in der heimatliche Ort, ce lieu familier où l’on peut retrouver, comme il le voulait, l’état de non séparation entre lui-même et le monde. (Cf Lettre au Burgmeister de Pribor) ; repêcher le lieu de l’origine — Pribor — plongé dans le fleuve Léthé — ce fleuve des enfers dont l’eau faisait oublier le passé à ceux qui en buvaient.

Oublier le passé…

Oublier les deux années passées avec Monika Zajic, la nurse tchèque qui lui chantait des comptines et lui racontait les célèbres contes de Wilhelm Hauff — et pas ceux de Grimm ; oublier qu’elle a été jetée en prison (« coffrée ») par l’oncle Emmanuel ; oublier les origines Galice de son père et de son grand-père ; oublier Rebecca,— la seconde femme de son père, stérile, répudiée, qui meurt d’une mort mystérieuse au moment même où la future troisième femme de Jacob Freud, Amalia, attend un enfant ; oublier que les époux cacheront cette grossesse hors mariage par un mensonge sur la date de naissance de cet enfant, nommé Sigmund ; oublier le prénom juif de son grand père accolé au sien —Salomon — et le yiddish qui va avec…

Nous pensons que l’expérience vécue de ces deux univers — slave puis autrichien — peut éclairer notre recherche. Nous ne souhaitons pas expliquer une langue par l’autre, mais enrichir l’une de la présence de l’autre. Nous souhaitons travailler le vide — la suspension — entre ces langues : « Der Ausstand an sagen können » : « l’intervalle encore à dire, ou, la perspective de ce qui reste à dire ».

Cette béance au fond même de la parole, cette profondeur muette au sein du sens : stummer Tiefsinn, cet espace intermédiaire qui se découvre entre les corps des langues : l’hébreu, le tchèque, l’allemand, nous permettront de faire la jonction entre la « surface » et la « profondeur » (Husserl), de l’être.

Il y a quelque part un détour possible… faire le tour du monde pour voir si, de l’autre côté, il n’y aurait pas une autre ouverture, car personne n’est réductible à la langue qu’il emploie.

Ce séminaire a lieu chaque troisième lundi du mois

chez Michèle Jung, en Avignon

(La pratique de la langue allemande est indispensable)

Première séance, le lundi 20 janvier 2014, à 20 heures

Contact : Michèle Jung

06 82 57 36 68

michele.jung@kleist.fr

 

Bibliographie

Jean-Michel Rey. Psychanalyse. Coll. dirigée par Pierre Fédida. Ramsay, 1987.

Freud (S.). 1947. « Das Unheimliche ». in : Gesammelte Werke XII. Francfurt am Main. Fischer Verlag, pp. 229-268.

André Bourguignon. Traduire Freud. PUF, 1989.

« Heimlich ». In : Wörterbuch der deutschen Sprache (1860). Sanders, Daniel/Maclachlan, Ewen/Monteiro, José Gomes: Wörterbuch der deutschen Sprache mit Belegen von Luther bis auf die Gegenwart. Leipzig 1860.

G.A. Goldschmidt. Quand Freud attend le verbe. (Freud et la langue allemande II). Buchet/Chastel, 1976.

Freud Sigmund. Gesammelte Werke. Band 14 : Werke aus den Jahren 1925-1931. Inhalt : « Brief an den Bürgermeister der Stadt Príbor », (25.10.1931).

 

 

Lire la version allemande

 

Sublime, forcément sublime…

Durant la Seconde Guerre mondiale, Picasso vivant rue des Grands Augustins à Paris, reçut la visite de Otto Abetz, l’ambassadeur nazi de l’ambassade d’Allemagne à Paris. Ce dernier lui aurait demandé, devant une photo de la toile Guernica (alors conservée au MoMA à New York) :

– C’est vous qui avez fait ça !
– Non… c’est vous, répondit Picasso.

(Picasso. Roland Penrose. Flammarion, collection Champs n° 607, 1958)