Séminaire 2014

Freud et son père en 1864

Ein unheimliches Schweigen…

Freud se sent encerclé (« coffré », dit-il) dans « Vienne ». Il s’y trouve mal à son aise. Es ist ihm unheimlich. Das Unheimliche se situant au cœur du monde de l’enfance, il est curieux que Freud passe littéralement d’un trait de plume sur ses quatre premières années : l’unheimliches Schweigen (l’impressionnant silence). Alors, retourner in der heimatliche Ort, ce lieu familier où l’on peut retrouver, comme il le voulait, l’état de non séparation entre lui-même et le monde. (Cf Lettre au Burgmeister de Pribor) ; repêcher le lieu de l’origine — Pribor — plongé dans le fleuve Léthé — ce fleuve des enfers dont l’eau faisait oublier le passé à ceux qui en buvaient.

Oublier le passé…

Oublier les deux années passées avec Monika Zajic, la nurse tchèque qui lui chantait des comptines et lui racontait les célèbres contes de Wilhelm Hauff — et pas ceux de Grimm ; oublier qu’elle a été jetée en prison (« coffrée ») par l’oncle Emmanuel ; oublier les origines Galice de son père et de son grand-père ; oublier Rebecca,— la seconde femme de son père, stérile, répudiée, qui meurt d’une mort mystérieuse au moment même où la future troisième femme de Jacob Freud, Amalia, attend un enfant ; oublier que les époux cacheront cette grossesse hors mariage par un mensonge sur la date de naissance de cet enfant, nommé Sigmund ; oublier le prénom juif de son grand père accolé au sien —Salomon — et le yiddish qui va avec…

Nous pensons que l’expérience vécue de ces deux univers — slave puis autrichien — peut éclairer notre recherche. Nous ne souhaitons pas expliquer une langue par l’autre, mais enrichir l’une de la présence de l’autre. Nous souhaitons travailler le vide — la suspension — entre ces langues : « Der Ausstand an sagen können » : « l’intervalle encore à dire, ou, la perspective de ce qui reste à dire ».

Cette béance au fond même de la parole, cette profondeur muette au sein du sens : stummer Tiefsinn, cet espace intermédiaire qui se découvre entre les corps des langues : l’hébreu, le tchèque, l’allemand, nous permettront de faire la jonction entre la « surface » et la « profondeur » (Husserl), de l’être.

Il y a quelque part un détour possible… faire le tour du monde pour voir si, de l’autre côté, il n’y aurait pas une autre ouverture, car personne n’est réductible à la langue qu’il emploie.

Ce séminaire a lieu chaque troisième lundi du mois

chez Michèle Jung, en Avignon

(La pratique de la langue allemande est indispensable)

Première séance, le lundi 20 janvier 2014, à 20 heures

Contact : Michèle Jung

06 82 57 36 68

michele.jung@kleist.fr

 

Bibliographie

Jean-Michel Rey. Psychanalyse. Coll. dirigée par Pierre Fédida. Ramsay, 1987.

Freud (S.). 1947. « Das Unheimliche ». in : Gesammelte Werke XII. Francfurt am Main. Fischer Verlag, pp. 229-268.

André Bourguignon. Traduire Freud. PUF, 1989.

« Heimlich ». In : Wörterbuch der deutschen Sprache (1860). Sanders, Daniel/Maclachlan, Ewen/Monteiro, José Gomes: Wörterbuch der deutschen Sprache mit Belegen von Luther bis auf die Gegenwart. Leipzig 1860.

G.A. Goldschmidt. Quand Freud attend le verbe. (Freud et la langue allemande II). Buchet/Chastel, 1976.

Freud Sigmund. Gesammelte Werke. Band 14 : Werke aus den Jahren 1925-1931. Inhalt : « Brief an den Bürgermeister der Stadt Príbor », (25.10.1931).

 

 

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Séminaire 2012-2013

 

Image Isabelle Esposito

 

« On est prié de fermer les yeux »

Dans la quête éperdue d’une langue qu’il ne connaissait pas, Freud disait de lui-même qu’il était un « intellectuel déraciné » : il a quitté Freiberg (en Moravie) à 3 ans pour aller vivre à Vienne… Dans la logique de notre travail effectué l’an dernier, nous souhaitons commencer une recherche sur la lalangue de Freud.

Freud commence ses études à Vienne en 1973, il a 17 ans. Il se sent étranger à Vienne. Une anecdote : en mai 1939, une connaissance, qui allait partir en Autriche, vient rendre visite à Freud, alors exilé à Londres. Freud lui dit : « Alors, vous retournez à … ?, je ne me souviens plus du nom de cette ville ! » Pour qui connaît l’humour de Freud, Freud feint ici d’oublier le nom de la ville de naissance de la psychanalyse, le lieu de sa vie et de son œuvre. Quelque chose l’arrête — au moment de prononcer ce signifiant : Vienne — sous l’effet d’un refoulé. Grâce à la distance de l’exil, il peut exprimer ce sentiment qu’il a eu d’être étranger à Vienne.

Nous commencerons cette année par la lecture d’un séminaire de Lacan tenu à Sainte-Anne en 1971 : « Le savoir du psychanalyste ». C’est là qu’il introduit le concept de lalangue.

Ce séminaire a lieu chaque troisième lundi du mois
chez Michèle Jung, en Avignon

(La pratique de la langue allemande est indispensable)

Première séance, le lundi 14 janvier 2013, à 20 heures

Contact : Michèle Jung
06 82 57 36 68
michele.jung@kleist.fr

 

Bibliographie :

  • Jacques Lacan : « Le savoir du psychanalyste », 1971, Séminaire à Sainte-Anne.
  • Jacques Lacan : « Encore », Le Séminaire 20, 1972.
  • S. Freud, « Le fétichisme » dans La vie sexuelle, Paris, PUF, 1969, p.133.
  • Jacques Lacan. « Les non-dupes errent ».
  • « Brief an der Bürgermeister des Stadt Pribor », S. Freud, 1931.
  • Marie Balmary. L’homme aux statues. Grasset, 1979.

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Synthèse des 6 séances de janvier à juin

Après avoir cerné le concept de Lalangue à partir des textes dont on trouvera la liste dans la bibliographie ci-dessous, nous dirons simplement ici que Lacan situe lalangue du côté de la première empreinte, dans un champ où l’équivoque n’est pas du hasard.

Ce qui caractérise lalangue, ce sont les équivoques qui y sont possibles”. J. Lacan, Le sinthome, séance du 9 mars 1976.

Si l’on veut avoir une chance de démêler l’énigme du symptôme, c’est en ayant accès aux signifiants de lalangue du patient. Pour reprendre les termes de Lacan concernant la définition de l’énigme, il s’agit d’une énonciation dont on ne connaît pas l’énoncé. L’énoncé se trouve dans la langue dans laquelle l’enfant a reçu ses premiers soins, celle de sa prime enfance, sa lalangue, la langue dans laquelle s’est constitué son symptôme.

N’oubliant pas le thème de notre séminaire, nous avons travaillé sur un cas que Lacan emprunte à Freud pour donner un exemple d’interprétation à partir de lalangue dans l’analyse d’un sujet bilingue. Ce patient bilingue, évoqué par Freud, est cité dans un texte sur le fétichisme, dans le recueil La Vie sexuelle.

Le fétiche dont l’origine se trouvait dans la prime enfance ne devait pas être compris en allemand mais en anglais.

Nous avons, par ailleurs, particulièrement apprécié la lecture d’un texte d’Aharon Appelfeld qui questionne le destin de la langue en tant qu’elle se rapporte aux premières expériences sonores, aux sensations perdues du corps, et qu’elle permet de questionner la part de l’inarticulé des premiers rythmes sonores, car elle renvoie aussi à la force poétique des mots, à la voix comme objet a.

L’an prochain, nous retrouverons la voix de Monika Jazyk, la nurse de Freud qui le berce avec des comptines slaves et les contes de Hauff, celle de ses parents qui parlent le yiddisch — et ce tout au long de ses quatre premières années vécues à Pribor…

Bibliographie :

– Simone Wiener. « Aharon Appelfeld, lalangue perdue ? ». In : Essaim N°29, « Ce que l’on doit à lalangue ». Érès 2012

– « Le savoir du psychanalyste », 4 novembre 1971. In : Je parle aux murs, Paris, Seuil, 2011

– Discours de Jacques Lacan à l’Université de Milan le 12 mai 1972, paru dans l’ouvrage bilingue : Lacan in Italia 1953-1978. En Italie Lacan, Milan, La Salamandra, 1978, pp. 32-55

– J. Lacan, Séminaire Encore (1972-1973), Paris, Le Seuil, 1975

– J. Lacan, Séminaire Le sinthome (1975-1976), 9 mars 1976, Paris, Le Seuil, 2005

– Jacques Lacan. Conférence à Nice, 24 janvier 1976

– S. Freud, « Le fétichisme », dans La Vie sexuelle, Paris, PUF, 1969, p. 133.

Michèle Jung, 20 décembre 2013