Le cœur à gauche…

… le porte-feuille à droite.

 

Die Schaubuehne

Photo Anna David

 

Ein Volksfeind d’Henrik Ibsen, mis en scène par Thomas Ostermeier, est créé le 18 juillet 2012 au Festival d’Avignon.

Dans cette pièce d’Henrik Ibsen, Stockmann (Stefan Stern) découvre que les eaux des thermes, qui font la richesse de la petite station où il est médecin, sont polluées. Il souhaite qu’un journal publie ses informations, et demande aux élus de prendre leurs responsabilités. C’était oublier que son frère, maire du village, ne l’entendra pas ainsi. Une lutte fratricide s’attise et s’enflamme, pour prendre un tour politique.

En 1883, le dramaturge norvégien offre à son héros — le docteur Stockmann — une ultime planche de salut, à savoir défendre son point de vue en organisant une réunion publique. Reprenant au bond la balle lancée par Ibsen, Thomas Ostermeier choisit le moment crucial de cette prise de parole publique, pour rallumer la salle de l’Opéra-Théâtre d’Avignon et lancer un débat avec les spectateurs. Un débat sur cette démocratie qui, en l’occurrence, s’oppose à un homme s’efforçant de faire entendre une vérité au mépris des intérêts économiques de ceux qui ont pignon sur rue dans sa ville. Les acteurs — descendus dans la salle — se font avocats du diable et défendent les principes d’une démocratie protégeant la croissance pour le bénéfice du plus grand nombre. Les spectateurs s’emparent des micros qu’on leur tend pour les contredire calmement, mais vertement, et prendre le parti de Stockmann. En coulisses, le metteur en scène, (directeur artistique de la Schaubühne à Berlin, nous le rappelons) « contrôle » ces prises de parole. C’est lui qui donne le signal de la fin des débats, celui aussi de la reprise du cours de la pièce et ce avec une maîtrise parfaite, relayée par une équipe artistique exceptionnelle.

Quelle place pour la vérité et la justice dans une société soumise à l’économie et à la finance ?,

telle est la question totalement réactualisée qu’Ostermeier fait surgir de cette pièce écrite en 1882.

Tout est habilement maîtrisé pour arriver à ce résultat. Thomas Ostermeier a remanié l’œuvre, l’a étoffée de « L’Insurrection qui vient », texte projeté sur le rideau de scène avant d’être proféré par Stockmann. La mise en scène est également remarquable : on oscille entre réunion entre intellos de gauche, et répétitions d’un groupe de rock qui a le bon goût de reprendre « Changes » de David Bowie.

Ibsen désigne son héros comme bouc-émissaire et le transforme en ennemi du peuple… l’occasion pour Ostermeier de choisir de le lapider sous une pluie de bombes de peintures multicolores : comme dans la réalité, on coupe court à la discussion par la force. Au final, c’est toute une salle debout qui applaudit et ovationne la troupe et le metteur en scène. Un succès unanime qui peut aussi s’entendre comme l’expression d’une satisfaction des spectateurs d’avoir pu participer à la dénonciation du manque de démocratie directe qui mine nos sociétés européennes.

Si Ibsen termine sa pièce en parant jusqu’au bout d’une intransigeance aveugle son incorruptible Stockmann – son double sans doute, lui qui choisit longtemps l’exil en Italie plutôt que de rester dans une Norvège corrompue —, le patron de la Schaubühne choisit de le montrer dubitatif : Stockmann se laissera-t-il séduire par la proposition de son beau-père de reprendre lui-même les thermes ?

Ornella, Avignon 2012

♥ Avis aux lyonnais : ce spectacle sera repris du 29 janvier au 2 février 2013 au Théâtre National Populaire de Villeurbanne.

Messe…

Béjart dans La Cour

Messe pour le temps présent

Alors, ce soir, mettre le vinyle sur la platine, réécouter cette Messe… pour se souvenir.

C’était, en effet, le 3 août 1967, dans La Cour ! La Messe…, une cérémonie profane à la mémoire de Patrick Belda, danseur, mort à 25 ans. Une cérémonie qui va du classique le plus pur — les danseurs font des exercices à la barre —, aux sons de jerks (« Jéricho Jerk ») électroniques, de rocks (« Psyché Rock ») rehaussés de bruits bizarres et inouïs, de « Teen Tonic » avec ses nappes hallucinogènes, et de « Too fortiche » avec son solo de guitare fascinant. Sur scène, les danseurs qui portent les noms de Laura Proença, de Jorge Donn,…s’en donnent à corps joie ! Des garçons et des filles superbes. Ce n’était pas encore Mai 68 mais c’était déjà une libération — pour nous en tous cas.

En neuf épisodes, Béjart nous racontait les modes et les peurs de la fin des années 60 : les philosophies orientales, les couleurs criardes, la musique électroacoustique (de Pierre Henry), la guerre nucléaire, la résurgence du nazisme…

Les artistes ont attendu sur scène que les spectateurs s’en aillent… que tous nous soyons partis. Du jamais vu. Du jamais revu.

 Michèle Jung, Avignon,
paru dans Bref, Centenaire Vilar, 25 mars 2012

« Ein Weg ist ein Weg…

… auch im Nebel»

Vaclav Havel, décédé le 18 décembre dernier, a vécu les années staliniennes, l’invasion d’août 1968 qui mit fin au Printemps de Prague, puis les vingt ans du régime de Gustáv Husák… Aujourd’hui, j’aimerais rendre hommage à l’écrivain dramaturge, à l’amateur de peinture, de littérature, de jazz et de cinéma que j’ai pu « fréquenter » au cours de différentes manifestations, à Paris ou en Avignon.

Pour mémoire,

au lendemain de l’intervention des forces du pacte de Varsovie, en août 1968, Vaclav Havel, qui a joué un rôle important au sein de l’Union des écrivains tchèques — un des moteurs du « Printemps de Prague » — est privé de théâtre : ses premières pièces, dans un style caustique proche de Kafka, suscitent une certaine irritation dans les milieux politiques…,

il est arrêté à Prague dans la nuit du 29 mai 1979 avec 10 autres signataires de la Charte 77, sous l’inculpation de subversion contre la République. Paul Puaux écrit une lettre au gouvernement tchécoslovaque, pour qu’il puisse assister à la première des deux pièces créées par Stephan Meldegg pour le XXXIIIe Festival d’Avignon. Mais c’est sans lui que nous verrons : Audience (1975) et Vernissage (1975), salle Benoît XII, avec Pierre Arditi, Victor Garrivier, Bernard Murat et Catherine Rich ; sans lui que nous participerons à la « Rencontre du Verger d’Urbain V », rencontre de l’équipe artistique avec le public avignonnais, le 4 août 1979. Cette année-là encore, Beckett écrit Catastrophe et lui dédie cette pièce ; on se souvient aussi des soirées de soutien à La Cartoucherie… Le 23 octobre, une « délégation » formée de Patrice Chéreau, du mathématicien Jean Dieudonné, du sculpteur Chalier et du philosophe Jean-Pierre Faye se présentent au palais de Justice de Prague en vue d’être les témoins du procès de Vaclav Havel. L’entrée leur est refusée, ils sont arrêtés…,

le 21 juillet 1982, une nuit d’hommage lui est consacrée au Festival d’Avignon. Elle est organisée par l’A.I.D.A., et s’intitule : « Vaneck, à la recherche de son auteur ». Ferdinand Vaneck est un personnage autobiographique créé par Vaclav Havel. On le retrouve dans trois de ses pièces en 1 acte, Audience, Vernissage et Pétition. Cette nuit-là, l’A.I.D.A. invite les artistes du monde entier à faire vivre, eux aussi, le personnage Ferdinand Vaneck qui erre seul au monde, et à lutter ainsi pour la libération de son auteur : Vaclav Havel, emprisonné pour 4 ans et demi, est interdit d’écriture…

il est à nouveau arrêté, un bouquet de fleurs à la main, le 16 janvier 1989, sur la place Venceslas, lors de la manifestation commémorant le 20e anniversaire du suicide de Jan Palach, et condamné à 9 mois de prison le 22 février pour incitation au désordre et obstruction à l’ordre public. En France, le 21 mars, une manifestation est organisée devant le théâtre de Chaillot pour réclamer sa libération ; un gala de solidarité est donné au Théâtre de l’Atelier le 24 avril ; et Daniel Gélin se lance avec Pétition (que nous verrons sur FR3, un vendredi soir d’avril 1989, à 20H50 dans une réalisation de Jean-Louis Comolli)…,

lors du festival 2002, Jan Burian met en scène Vernissage. La pièce, en tchèque, est donnée dans la Salle Flanchet du Lycée St Joseph, dans un décor de Karel Glogr ; une exposition est installée Rue de Mons ; deux films sont projetés à Utopia ; Marcel Bozonnet lit La grande roue dans les jardins de la rue de Mons ; une rencontre animée par Josyane Savigneau est prévue avec Vaclav Havel le 17 juillet, il ne pourra y être, et le soir même, au Verger d’Urbain V, une nuit exceptionnelle est organisée par son épouse Olga Spichalova, par Élie Wiesel, Victor Haïm, Andrée Chedid et Arthur Miller. C’est le chanteur tchèque Charlie Soukup qui ouvre cette soirée.

Le pari de Vaclav Havel — sous ses habits présidentiels — fut de réconcilier, dans la tradition tchèque, culture et politique. Cette réconciliation il l’a exprimée sur le plan du langage : il a construit chacun de ses discours comme des petites pièces émaillées de citations et de considérations philosophiques, rythmées par des effets théâtraux. « Quand Havel parle, il apporte la culture et la poésie » disait de lui la sociologue Helena Jarosava.

Mais, je vous le disais, je n’ai raconté que… ce à quoi j’ai pu assister.

Ornella, Avignon, janvier 2012

 

Photo Michèle Jung

Le lundi 9 juillet 2012, Pierre Arditi et Stéphan Meldegg ont lu « Audience » dans les Jardins de la Maison Jean Vilar.

Küsse mein Bild…

… oder Wilhelmine kriegt Post.

Eine multimediale Collage von der « Ensemble Puppet-Holding » aus Briefen Kleists an seine Verlobte Wilhelmine von Zenge und trickfilmen.

Es war eine merkwürdige Inszenierung, wo Myriam Sachs läßt Kleists Verlobte Wilhelmine von Zenge rätzeln über das Phänomen Mann im Allgemeinen und das Phänomen Kleist im Besonderen. Der ist permanent unterwegs und seine Lebenskonzepte (Ein Amt nehmen in Berlin, Lehrer werden in Frankreich, oder Bauer in Thun…) ändern sich wie seine Reiseplänen…

Birte Rüster und Leo Solter, die Shauspieler, waren talentvoll.

Myriam Sachs an der Regie, lieh sich von den modernsten Mitteln der Technologie aus.

Theaterkapelle in Berlin

Photo : Anna David

 

Es war im Rahmen von « NEUNMALKLEIST – eine interdisziplinäre Reihe »

Anlässlich des 200. Todestages Heinrich von Kleists konfrontiert das interdisziplinäre Projekt Biografie und Briefwechsel des Dichters mit einer Auswahl seiner literarischen Werke. Ein begehbares Bühnenbild führt die literarische mit der biografischen Welt zusammen und dient als Rahmen für eine Collage aus Briefen und Filmen, Vorträgen und doku-fiktionalen Gesprächen. So debattieren beispielsweise ein Psychologe und ein Medizinethiker mit Kleists Freundin Henriette Vogel und anderen Figuren aus seiner Biografie über den Selbstmord des Dichters. In dieser theatralen Installation werden seine Briefe gelesen, vertont und inszeniert, thematisch unterteilt in drei Staffeln – Kriege, Konzepte und Katastrophen – zu insgesamt neun Modulen. Wissenschaftler erörtern in Diskussionsrunden gemeinsam mit Kulturschaffenden und Journalisten die Frage nach der Aktualität der Schriften Kleists.

Michèle Jung, Berlin 10. September 2011, 20 Uhr
Theaterkapelle, Boxhagener Strabe 99

Leo Solter als Kleist

Leo Solter als Kleist

Kristin, nach Fräulein Julie…

… d’après August Strindberg, adaptation et mise en scène Katie Mitchell, discussion au foyer des spectateurs, à l’École d’art d’Avignon.

Je sais que ce n’est pas un billet d’humeur que je dois produire, mais Katie Mittchell (K. M.) m’a mise de « mauvaise » humeur… Sans commentaires.

Mais comment taire ?

La première question est sur le film, la seconde sur le son, la troisième sur le fait qu’on ne sait ni quoi regarder, ni quoi entendre… Et cette question sur la place du spectateur sera récurrente… Pour ma part, je ne la reprendrai pas, je dirai simplement que K. M. a répondu par une métaphore : je me suis vengée, dit-elle, sur l’art et la peinture… Les impressionnistes ne sont pas mes préférés, mais j’ai travaillé comme eux : pas de perspective centrale, mais importance de chaque partie de la toile, ce qui exclut de voir l’ensemble (sic!). Et bien là, c’est pareil, vous ne voyez qu’une petite partie de là où vous êtes placé, et bien contentez-vous de ça. On voit ce qu’on voit.

Le fait que les comédiens soient aussi camera(wo)man surprend. On voit, dit une spectatrice, toute la « cuisine ». K. M. entend « Kitchen » dans la traduction de Gabrielle (on lui explique le sens de l’expression en français). Ça ne nuit en rien à l’action se défend K. M., je veux montrer tous les petits détails de ce qui se passe dans la vie. Et ici, c’est le point de vue d’une metteur en scène femme sur un texte généralement mis en scène par des hommes.

Et Kristin ? Le choix de la cuisinière — l’esclave, comme dit Strindberg — est-ce un choix politique ? Oui, c’est un choix politique, social et… féministe.

Et les acteurs ? Ont-il du plaisir à faire tout ce qu’ils ont à faire : manipuler les caméras, se perdre dans les câbles qui sont au sol, se voir filmés pendant qu’ils jouent… Ça ne m’intéresse pas de savoir si les acteurs s’amusent où non, dit notre hôtesse, ce qui m’importe c’est que le public soit satisfait. Ce qu’ils font est compliqué, mais c’est leur travail. Entendant certainement les propos qu’elle tient, elle dit : ce n’est pas… « Et moi !», « Et moi !», «Et moi ! », nous sommes toute une équipe. En Grande-Bretagne, je travaille avec une équipe, nous avons des habitudes, ça fonctionne très bien ; à la Schaubühne, c’est plus difficile, ils ne connaissaient pas mes méthodes de travail.

Ah ! dit l’animateur, vous avez une École, une théorie qu’on pourrait appeler Mitchellienne. Non, je suis dans ce que je fais, je n’ai pas le temps de théoriser.

Et la dramaturgie ?, se hasarde une spectatrice. La Schaubühne m’a imposé sa dramaturge, Mala Zade. Sa place est dominante. Elle a regardé ce que nous faisions, elle m’a fait passer ses notes avec ses suggestions…

Moi (la rédactrice de ce compte-rendu) qui pensais voir un spectacle de la Schaubühne pour retrouver l’esprit, la méthode, la « patte » de… Thomas Ostermaïer… Sacha Walz… Falk Richter — vous vous souvenez « Trust » l’an dernier dans la Cour du Lycée St Joseph ?… Schade !

Ornella, le 23 juillet 2011
Festival d’Avignon

Courts-circuits

Courts-circuits, Cour du lycée St Joseph, Festival d’Avignon 2011

Inclassable François Verret qui, depuis la création de sa compagnie en 1979, traverse le paysage artistique entouré de musiciens, de danseurs, de comédiens, de circassiens, de plasticiens, de créateurs lumière pour présenter des pièces faisant la part belle à l’expérimentation et à la recherche. Ce matin, à l’École d’Art, il était accompagné de son régisseur son.

Courts-Circuits est née d’une inspiration croisée. Tout est parti d’une phrase du roman L’Homme qui tombe de Don DeLillo, où l’écrivain explore comment, après le traumatisme des attentats du 11 Septembre, chacun bricole les ressorts de sa propre survie.

C’est un euphémisme que de dire que le spectacle déconcerte, et que les questions furent longues à venir pour sortir de « J’ai aimé », « j’ai pas aimé ».

En tous cas c’est du respect qui est exprimé — au fil des questions — pour ce travail qui fait appel à ce qu’on ressent, et non à ce qu’on pourrait comprendre. Le secret pour passer une heure agréable, dit François Verret, c’est de ne pas essayer de comprendre, de lâcher prise, d’écouter le grain des voix, leur texture et non le texte (russe, italien, espagnol). Ce sont des états extrêmes qui font signe, au delà de la langue… pour créer un moment de théâtre qui pose et repose sans cesse la question de l’homme, de son présent et de son devenir, de ses contradictions, de ses désirs et de sa démesure.

L’espace scénique, c’est un caillebotis en métal, recouvert d’huile de vaseline et… ça glisse ! Oui, dans la vie aussi, on fait comme on peut pour avancer, pour tenir debout…

Le travail des acteurs (ici aussi dramaturges) est à référer à la biomécanique. Pour mémoire, cette technique de travail revient à Stanislasvki (il sera à Paris en 1930). L’enseignement bio­mécanique doit rendre à l’acteur la plastique biologique perdue, il doit être physique­ment à l’aise, c’est-à-dire sentir à tous moments le centre de sa propre pesanteur : son équilibre corporel. Etant donné que l’art de l’acteur est une « création de formes plastiques dans l’es­pace », il doit apprendre et perfec­tionner la mécanique de son corps.

Ceci est important à savoir pour apprécier le travail du danseur Mitia Fedotenko dans Courts-circuits. Mitia, dont le nom revient souvent dans la bouche de François Verret au cours de cette discussion a fait ses premiers pas en danse contemporaine avec la chorégraphe Antonina Krasnova à Moscou, et dès 1996, il continue sa formation en France d’abord au CNDC à Angers, ensuite, au CCN de Montpellier (sous la direction de Mathilde Monnier). Depuis 1998, Mitia Fedotenko intervient pour de nombreux projets d’ateliers en direction de personnes souffrant de maladies psychiques aux Murs d’Aurelle, à Montpellier, et ceux qui ont vu Couts-circuits comprendront l’importance de sa création personnelle dans ce spectacle…

Conclure en disant que même ceux qui s’y sont perdus, recommandent de voir ce travail, très esthétique.

Ornella, 18 juillet 2011, à onze heures trente.

Jan Karski…

Jan Karski (Mon nom est une fiction)

de Yannick Haenel, mis en scène par Arthur Nauziciel, Festival d’Avignon 2011

Débat avec les spectateurs, le 14 juillet 2011, à l’École d’Art, en présence d’Alexandra Gilbert, Laurent Poitrenaux et Arthur Nauziciel, animé par Jacques Manceau.

Le roman « Jan Karski » de Yannick Haenel (Gallimard) porte le nom d’un Polonais bien réel, mort aux Etats-Unis, après avoir tu, pendant 35 ans, tout un pan de sa vie : il a été témoin des horreurs du ghetto de Varsovie et impuissant à convaincre les grands de ce monde de l’existence des camps d’extermination nazis.

Dans sa mise en scène, Arthur Nauzyciel reprend la structure du roman, les spectateurs venus au débat aussi.

Ils questionnent sur le sens, à la fin de la première partie, de la séquence des claquettes au son d’une rumba des Ferder Sisters, Shein vi de levone (une chanson, lui dira sa mère à la Première, que lui chantait son père quand elle était petite !). Deux « explications » à cela : enfant, Arthur Nauziciel a fait des claquettes car sa mère aimait la comédie musicale, et, par là, il lui rend hommage à travers les yiddishs ballrooms dancers des cabarets new yorkais ; par ailleurs, son oncle, déporté à Auschwitz, a essayé de garder ses chaussures le plus longtemps possible pour ne pas porter les « claquettes » qu’on donnait aux détenus…

Pourquoi avoir choisi, dans la seconde partie, Marthe Keller pour un rappel de l’autobiographie de Karski parue en 1944 ? Parce que je suis tombé amoureux d’elle à l’occasion du feuilleton « La demoiselle d’Avignon », dit Arthur Nauziciel. J’aime sa voix, sa vie, sa présence… Comme on le sait, la scène est occupée par un écran sur lequel est projetée une vidéo hypnotique de l’artiste polonais Miroslaw Balka filmant en boucle l’hystérique zig zag de l’enceinte du ghetto de Varsovie sur un plan du parcellaire. Un spectateur raconte que pendant cette séquence, il a fermé les yeux pour mieux suivre, au fil de la voix de Marthe Keller, les pas de sa mère qui a vécu dans ce ghetto ; d’autres, ont trouvé ce passage long (sic). Arthur Nauziciel rappelle que, oui, ce trajet a paru long à Jan Karski qui l’a fait !

Et la troisième partie… Les spectateurs qui se sont exprimés auraient aimé que le spectacle commence à ce moment-là. À ce moment où le talent de Laurent Poitreneau, dans le splendide décor de l’Opéra de Varsovie signé Ricardo Hernandez, nous donne cette introspection-fiction de Haenel prêtant à Karski des pensées qui sont les siennes. Gestes retenus, corps quasi empêché, voix sans effets mais non sans affects. Laurent Poitrenaux fait l’unanimité, sans conteste. Il explique alors qu’il n’aurait pas accepté de jouer sans ce qui précède, car pour lui, ce n’est pas un spectacle, mais une cérémonie.

Un spectateur lui demande alors : mais que faites-vous pendant tout ce temps des deux premières parties ? Je suis à La Civette, répond-il. Pirouette !


Ornella le 14 juillet 2011

Idiophones : gongs, tams, cloches et autres…

c’était un rêve
un rêve devenu réalité.
sonance…
sonances…
pour entendre ce qui se dit
dans l’insu
de l’Afrique…
lieu de la musique originelle — die Ur-Musik.

Qui sommes-nous ?
D’où venons-nous ?
D’après les connaissances des généticiens et autres paléontologues tous les Ètrumains viennent d’une unique femme, die Ur-Mutter — la Mère originelle.
Lui, l’Artiste, sait que cette Ur-Mutter vivait en Afrique il y a quelques cent cinquante mille ans, et sa création sonore reprend le motif récurrent de la Ur-Mutter. Re-présentation non abstraite, mais sur-réelle.

Dans un premier temps on peut être assourdi. Dans un second temps on reconnaîtra l’attrait particulier de cette sonance, car elle est l’Ur-Sprung même.
Cette sonance… Au féminin, La Femme la plus mélodieuse au monde… L’Oracle… La Prophétesse… La visionnaire… Sans aucun doute sur-naturelle, sur-humaine.
Cette sonance… Au masculin, Der Ur-Sprung saura porter l’histoire de la faute et du péché originel par la force de l’écoute…

Une lie de sagesse s’écoulera alors de la blessure originelle, die Ur-Wunde, formant, ce soir là, un lien entre les auditeurs qui découvriront le Ur-Sinn du Monde.

Ur-Mutter
Ur-Musik
Ur-Sprung
Ur-Wunde
Ur-Sinn
L’Art lui-même —faisant lien entre la naissance et la mort.

Alors l’Art… Ur-Sprung du monde dans sa perte et sa résurgence sonore… sur la Ur-Szene.

Improvisation Sonore
par Philippe Asselin
Espace Pasolini-Théâtre International-Valenciennes
Le 10 juin à 20h30 au Château d’Aubry du Hainaut

Si 2…

« Si tu cours dans une meute, même si tu ne peux pas aboyer, remue la queue. »

Cette image tchékhovienne, lue dans La cerisaie, illustre avec humour la problématique des compagnies se produisant au Festival Off, en Avignon.

Créé il y a 44 ans par André Benedetto (décédé en juillet 2009) — qui voulait présenter Statues en parallèle du Festival — le Off a vite permis la libération de tous les diktats de la culture officielle et bien pensante de l’époque. C’est devenu un libre rassemblement de compagnies (AF&C), sans direction artistique (mais avec un président) et, cette année, elles étaient 850 qui regroupaient plus de 6000 artistes et présentaient quelques 1100 spectacles dans 123 lieux. Nous en avons rencontré certaines sous la « Spiegeltent » installée dans le village du Off — une école intra-muros mise à disposition par la Ville, superbe lieu destiné à faciliter les échanges et les débats entre professionnels du spectacle, médias et « spectacteurs ».

Au Festival Off d’Avignon, le meilleur côtoie le pire. Le pire… Certains titres prouvent que la médiocrité et un humour incertain situé en dessous de la ceinture sont de la partie : Faites l’amour avec un Belge, Vol au dessus d’un nid de cocus, Le sexe pour les nuls. Mais la programmation concerne d’abord la création contemporaine, puis le répertoire (Molière, Beckett, Maupassant, ou Shakespeare pour ne citer qu’eux), enfin la danse, le cirque, le conte, le mime et la marionnette. Le Off en Avignon — vitrine pour les régions de France et les compagnies qu’elles soutiennent — joue aussi la carte de l’internationalisation : des partenariats ont été noués avec des manifestations comparables, à Busan (Corée du sud), Okinawa (Japon), Pékin, Shanghai (Chine), Taiwan ou encore avec le gigantesque Fringe d’Edimbourg (Grande-Bretagne). Des artistes connus viennent aussi s’y produire, comme cette année Jean-Claude Drouot, Romane Bohringer, Judith Magre, Daniel Mesguich, Daniel Pennac, Olivier Sitruk et Philippe Avron, qui a attendu le dernier jour du festival pour tirer sa révérence.

La Cité des Papes intègre tout ça dans un ambiance cordiale, avec comme défi pour nous — attachée à la programmation des ATP de Lunel (34) — de dénicher quelques incontournables pour nos saisons à venir.

Les festivaliers, eux (1,3 million d’entrées prévues cette année), se retrouvent très vite noyés au milieu de cette offre massive. Quelle pièce aller voir ? Comment choisir parmi ces dizaines de flyers — plus chatoyants les uns que les autres — qui leur sont offerts au fil des artères avignonnaises ou aux terrasses des restaurants, parmi les affiches qui fleurissent sur chaque centimètre carré d’espace vierge (façades, vitrines, arbres), parmi les troupes qui paradent sous un soleil de plomb tout au long de la journée… ?

« Das ganze Stadt ist eine Bühne » : nous voulons reprendre — pour Avignon — cette image de Hugo von Hofmannsthal créant les Salzburger Festspiele en 1920. Eine Bühne où metteurs en scène, chorégraphes, musiciens, plasticiens nous font entendre notre quotidien par leur lecture d’œuvres choisies : l’incertitude, les faux-semblants, les trompe-l’œil, les vérités et les mensonges… En traversant les champs du politique, du désir, de la folie, vous aurez rencontré, je l’espère, ce qui fait que nous nous tenons debout dans la vie en vrai.

Ornella, fin Juillet 2010

Si…

 

Photo : Anna David

« Si on ne touchait à rien… », dit Falk Richter d’une voix venue de la Schaubühne am Lehniner Platz…

La Schaubühne, donc, est de retour en Avignon. Sans Ostermeier ni Sacha Walz, mais avec Anouk van Dijk, danseuse et chorégraphe et Falk Richter, auteur et metteur en scène. Leur projet : « Trust » — entre danse et théâtre.

Résumer le propos de « Trust » ne pourrait donner qu’une idée vague de ce qui se passe sur le plateau tant tout tient à la rapidité, aux excès, à l’ironie d’une écriture qui se déploie en paradoxes, arborescences, excroissances. « Trust » est une saisie du bruit du monde occidental qui nous entoure : argent, liquidation d’entreprises, stages de remise en forme pour cadres fatigués, solitude en chambres d’hôtels, GPS qui évitent de se perdre, familles et couples éclatés. Richter parle de là où il est, d’un monde d’aujourd’hui, et il le pousse dans ses retranchements, il met à nu la logique et la folie de ses mécanismes — ces mécanismes que nous subissons, qui nous envahissent, qui nous gangrènent, malgré nous, et ce jusque dans notre vie intime.

«Et si tu voulais juste rester assis, là, ça ne changerait rien… »

Dans cette chorégraphie textuelle — ou ce texte chorégraphié, c’est selon — des corps veulent se rapprocher, se toucher, s’appuyer… Ils s’attrapent et s’accrochent, mais se détachent rapidement de l’autre, se perdent… Brisées les lignes !

« Et si je restais, ça ne changerait rien… »

Vient la perte de confiance et ils se détournent, s’effondrent.

« C’est trop compliqué de tout changer maintenant…»

Les mots, les corps cherchent une autre forme de contact… Ils en ont peur.

« Si on ne touchait à rien, d’accord ? »

Chaque mouvement réalisé — chaque mot prononcé — contrarié par celui qui le suit, est connoté psychologiquement et débouche sur un épuisement sans repères : « la fatigue d’être soi », le goût du sexe oublié.

Falk Richter s’intéresse à cet écoulement, à ce vertige, à ce brouillage particulier du moi. Un brouillage. Le brouillard… « Ein Weg ist ein Weg, auch im Nebel », disait Max Frisch. Dans ce brouillard où tout se brouille, s’estompe, se dissout, l’être devient une esquisse au crayon gris…

« Et si je partais, ça ne changerait rien… » jette à encore l’un deux comme il jetterait une pierre dans l’eau. Mais… fini le temps des ricochets !

À tous ceux qui se demandent pourquoi le théâtre allemand est si présent sur nos scènes, en Avignon, et tout au long de nos saisons, la réponse à apporter est simple : le théâtre allemand, avec sa haute et grande tradition d’auteurs, de metteurs en scène, d’acteurs, de troupes, reste en haut de l’affiche européenne car, « au théâtre, il n’y a pas de règles, mais il faut bien les connaître ». (Charles Dullin)

Ornella, Avignon, juillet 2010