Bérénice

Bérénice Racine/Delaigue La Cigalière, le 27-11-04

Spectacle dépouillé à l’extrême : décor, costumes. Le tout somptueux, sobre, aucune distraction possible. Et le travail sur la langue est réussi, elle ne tombe pas dans l’uniformité, c’est une langue d’aujourd’hui, présente, vivante, de laquelle le sens apparaît, très clair. Pour parler, on s’assied ou on se dirige vers l’avant-scène. Le dit, sur les chaises… Aujourd’hui, j’aurais aimé avoir repéré ce qui s’y disait — justement, rien ne semblant laissé au hasard. Les déplacements, une superbe chorégraphie. Quel talent ! J’ai en mémoire cette phrase de Roland Barthes qui dit que Racine “ composait ” en marchant et en battant la mesure. Et c’est comme ça que les comédiens portent les mots dans leurs pieds lorsqu’ils viennent les dire à l’avant-scène en traversant des zones d’ombre et de lumière, très beaux éclairages. La musique. Surprenante, cette musique. Surprenante, pas gênante. Mais je l’ai entendue, plusieurs fois.

Pour moi, la seule faiblesse, c’est la faiblesse de toute compagnie ayant des comédiens permanents, il faut leur donner un rôle. En l’occurrence, Titus est vraiment léger, y compris physiquement, mais je ne sais pas quel âge il a dans la pièce de Racine. La direction d’acteur… j’aurais… Bérénice, au cours du spectacle, devient de plus en plus hystérique, c’est un peu dommage, elle crie trop.

J’ai aimé la présence de Philippe Delaigue (alias Paulin), dans le texte, certes, mais sur scène ne laissant pas le choix à Titus.

J’ai eu beaucoup de plaisir à revoir cette pièce, tragédie, certes, mais pas héroïque du tout. J’avais oublié que ce n’était pas une tragédie du sacrifice, mais l’histoire d’une répudiation que Titus n’ose pas assumer… Mais là, on entre dans la psychologie…

À M. B., le 28 novembre 2004

Apert

Cher Olivier,

En rentrant de La Chartreuse, j’avais lu votre texte, mais je n’étais pas assez disponible pour écrire. Je le fais aujourd’hui, premier jour d’une « vacance » qui me ravit. Le voïvode & le chanteur… Et bien… allons-y ! Je me mets à la table du festin — als Kalligraph — pour tenter de dire, de donner — moi aussi — quelque chose, chose de ce « quelque » qui n’est pas rien, même si mon ignorance de ce que je vais écrire est grande, quasi nécessaire, voire salutaire. L’exercice est périlleux quand on voudrait sortir de « J’ai aimé », « Je n’ai pas aimé », « C’est très intéressant », voire « C’est somptueux », ou encore « Votre écriture, cher Olivier, m’interroge » ! Expressions qui vous (l’auteur) laisse Gros-Jean comme devant. Alors, je vous parlerai — sans le qualifier — de mon rapport à ce texte.

Votre reformulation du mythe — que vous faites apparaître dans sa dimension voïvoïdale — est posée simplement : un matériau brut, sobre, disponible qui fait ressortir l’aspect sacré, rituel de cette tragédie habilement déguisée en drame profane et tristement humain. Elle donne à entendre au lecteur — agacé ou fasciné… c’est selon — ces phrases imprécatoires écrites dans une langue moderne avec des mots souvent violents, grossiers, crus. Martelés, ces mots rythment les stations que traverse cet empaleur lubrique, lorsqu’il pressent « l’aubel’horreurfrissonnante ». Surtout, ne pas chercher à comprendre, se laisser guider — puis séduire — par les indices donnés, vaciller dans les absences — voire les trous noirs — se laisser piéger, essuyer les injures.

Perversité des personnages / Perversion de la structure du texte, plié, déplié, replié, redéplié et exploré dans ses fissures — blessures verticales — qui accrochent des pans de lumière, de cette lumière propre à nous éclairer nous-même sur les « appétitions » qui nous guident. Je ne suis pas gênée par votre procédé d’écriture qui consiste à accoler des séries de mots, je le suis par contre par le fait qu’il y a des exceptions : autre perversion ?

On sait que les effets de théâtre sont possibles, en partie, grâce à la présence de processus qui s’apparentent à ceux de la dénégation (Verneinung) : il faut que ce ne soit pas vrai, que nous sachions que ce n’est pas vrai, afin que les images de l’inconscient soient vraiment libres. Le théâtre alors, joue un rôle proprement symbolique. Quand la toile se lève, les puissances imaginaires du Moi sont à la fois libérées et organisées — dominées — par le spectacle. En espérant que les lectures qui seront faites de votre texte par les professionnels de la mise en scène feront que le rideau se lèvera bientôt sur la représentation de : Le voïvode & le chanteur.

Un auteur roumain, Victor Scoradet, dit : « Le public ne va pas au théâtre pour oublier le monde où il vit, mais pour le comprendre ». Et voilà pourquoi votre fille est muette !

Lunel, le 8 mai 2002 Michèle Jung

Ornella fait son théâtre

Photo : Philippe Asselin

Je fais mon théâtre depuis plus de 30 ans, et j’ai décidé de vous faire partager ma lecture originale des scènographies contemporaines, et de vous mener sur mes chemins de traverse.

Vous y retrouverez, pêle-mêle, mes Lunéliades, Vidourlades,Teutonades et avignonades qui expriment mes coups de coeur et mes coups de sang.

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