Faire bord au Réel…

… à propos de L’analphabète, d’Agota Kristof, mis en scène par Nabil El Azan.

Agota Kristof

En juillet, je n’étais pas assez disponible pour écrire. J’étais prise dans les rets du Festival…, sous l’emprise de ce que j’avais pro-jeté de faire…, voire souvent re-prise par mon utilité temporelle…

Après le temps des éphémérides — nous sommes le 5 août — je me mets à la table — als Kalligraph — pour tenter de dire, de donner, de te donner — moi aussi — quelque chose, chose de ce “ quelque ” qui n’est pas rien, même si mon ignorance de ce que je vais écrire est grande.

L’exercice est périlleux quand on veut sortir de… “ J’ai aimé ”, “ Je n’ai pas aimé ”, “ C’était très intéressant ”, voire “ somptueux !”, ou encore “ ton spectacle, cher Nabil, m’interpelle… ”. Expressions qui vous laissent Gros-Jean comme devant — lui, comme moi !

Alors… ?
Écrire.
Écrire… avec l’idée et l’espoir d’une lumière venant d’une trace première, toujours déjà là, exposée à être frayée.
Écrire pour se dé-prendre… pour parler de ton appropriation de ce texte dans lequel tu avances pli sur pli, Pli selon Pli dirait Pierre Boulez.
Écrire pour retrouver un corps… morcelé, par des images de matière corporelle en tension, qui courent au long de ce texte, de ce voyage ?

Puis… ?
Dire.
Dire, simplement, que j’ai éprouvé un plaisir pur, physique, car la respiration de chacun — la mienne donc, — a trouvé un espace, un rythme dans l’énergie d’un corps — celui de Catherine Salviat— un corps travaillé par la parole, le mouvement, le son, le son surtout, les images, la lumière, la couleur qu’il parcourait.

Parole et écriture posent, autour de la Chose, le problème majeur de l’Autre, et l’Autre, c’est ce qui manque. Ou plutôt, c’est un lieu, un endroit où le sujet humain va puiser ce qui lui est nécessaire pour exprimer son désir, ce désir toujours troué, toujours en quête de ce qu’il n’a pas. La sublimation permettrait de supporter ce manque en faisant advenir la lettre au niveau du lieu vide qui s’offre au sujet comme une page blanche.

Mais encore… ?
Tenter de parler — sans le qualifier — de mon rapport à ce spectacle, à ce moment.
Surtout, ne pas chercher à comprendre, me laisser guider — puis séduire — par les indices donnés, vaciller dans les absences, voire les trous noirs, me laisser piéger, essuyer les embruns… En somme, agir en conformité avec mon propre désir.

Et ça opéra. Oui, ça opéra. Un opéra… Étrange temporalité.

Merci Nabil, pour ce… voyage en C minor.

Michèle Jung
Le 4 août 2015

Amour fou…

Christian Friedel et Birte Schöeink

Christian Friedel et Birte Schöeink

Association-Franco-Allemande

Jumelage Avignon-Wetzlar

Nous avons le plaisir et l’honneur de vous convier à une Soirée Cinéma pour voir

Amour fou…

Nous vous donnons rendez-vous le mercredi 25 février 2015, à 20 h, pour la séance de 20 h 15  à

UTOPIA MANUTENTION

où nous attend Michèle Jung, Docteur d’Université, spécialiste de Kleist, et membre de notre association.

Dans son film, Jessica Hausner (Autriche) nous offre une interprétation libre et décalée d’un épisode particulier de la vie de Kleist, celui d’un ultime épisode quand l’auteur, qui souffre d’une mélancolie aiguë, brave l’inéluctabilité de la mort.

Le mercredi 20 novembre 1811, entre deux et trois heures de l’après-midi, un couple descend d’une calèche devant une auberge de Postdam, près du Wannsee. Il vont y passer la nuit.

Vers quatre heures du matin, Henriette Vogel, puisque c’est elle, demande un café, puis encore à sept heures. En fin de matinée, Heinrich von Kleist, puisque c’est lui, dit qu’ils veulent prendre le café au bord du lac, et demande qu’on y ajoute un « Groschen » de rhum. Le couple, joyeux, s’amuse à lancer des pierres qu’il fait ricocher à la surface de l’eau. Puis on entend deux détonations. La servante de l’auberge découvre deux cadavres l’un près de l’autre : la dame, revêtue d’une robe de batiste blanc, d’une fine tunique bleue en crêpe et de gants blancs en chevreau glacé, a une tache de sang sous le sein gauche ; son compagnon, habillé d’une redingote de drap marron, d’une veste de batiste, d’une culotte de drap gris et de bottes, a le visage maculé de sang autour de la bouche. A l’horizon un mur de brouillard s’élève — gris-bleu au-dessus de l’eau et des arbres, jaune flamboyant plus haut dans le ciel…

Après le film, nous attendrons, en compagnie de Michèle Jung, tous  celles et ceux qui le souhaitent, pour une discussion autour d’un verre, au café d’Utopia.

Quelques clés…

pour entrer chez les Schroffenstein

Œuvre d'Erwin C. Klinzer

Œuvre d'Erwin C. Klinzer

Le 10 juillet 1801, Heinrich von Kleist (à 24 ans) arrive à Paris, il y annonce sa tragédie : Die Familie Schroffenstein. Il l’écrira à Berne, entouré de jeunes poètes : Heinrich Zschokke, Heinrich Gessner — l’éditeur Suisse, et Louis Wieland. C’est à eux qu’il fait la lecture de son drame, il obtient un succès inattendu : cette accumulation de malentendus les plus horribles, de hasards, de quiproquos les fait « pouffer de rire ». Joachim Maass rapporte :

« On pouffait de rire, on s’exclafait, si bien que le poète lui-même, qui riait aussi, ne put continuer à lire et dut      s’arrêter — ce qui, évidemment, ne voulait nullement signifier que l’œuvre n’avait pas plu. Bien au contraire : Gessner se proposa aussitôt de la publier, ce qui advint effectivement.» (Joachim Maass. « Kleist-Die Geschichte seines Lebens ». Scherz Verlag, Bern und München, 1977, Seite 61).

Avec cette œuvre inaugurale, Kleist est reconnu comme un excellent écrivain, en témoigne un article paru dans Der Freimüthige, la revue de Kotzebue :

“Der Freimüthige a aujourd’hui une bonne nouvelle à faire connaître, — il a à annoncer l’apparition d’un nouveau poète, encore inconnu, mais qui est, en vérité, un poète. » (Ludwig Ferdinand Huber, le 4 mars 1803)

Dans cette première pièce de Kleist — écrite dans une Europe bouleversée — tout y est : les soupçons — cette maladie noire de l’âme, les rumeurs, les haines entretenues, les pulsions de mort, ce que René Girard appelle « les emballements mimétiques », cette résignation nihiliste devant la fatalité (imaginée) de la catastrophe à la fois honnie et désirée, ces fantasmes de détruire l’autre et d’être détruit par l’autre. Sylvestre dit :

« Das Misstraun ist die schwarze Sucht der Seele,

Und alles, auch das Schuldlos-Reine, zieht

Fürs kranke Aug’ die Tracht der Hölle an. »

L’antithèse « Sein »-« Schein » est un des trois thèmes inhérents à la crise kantienne de Kleist : le monde des apparences ne révèle rien sur l’être. Chacune des œuvres de Kleist apportera une variation sur ce thème : où est la réalité parmi toutes les apparences dont se compose notre vie ? Comment s’orienter dans cette vie avec le sentiments pour seul guide ? Dans La famille Schroffenstein, deux faits : la noyade du jeune fils de Rupert (celui-ci s’est réellement noyé) est interprétée comme un crime commis par deux serviteurs de la branche Warwand ; la tentative de suicide de Johann, le fils naturel du même Rupert, qui n’est rien qu’amoureux d’Agnès, devient une tentative d’assassinat perpétrée sur la personne de l’unique héritière des Warwand : le « Schein » submerge le « Sein ».

Kleist qui, dans sa vie personnelle, se donne pour victime d’une force à la fois nommée destin, fatalité, hasard (Cf. Correspondance) distribue les personnages de son théâtre en êtres de raison et êtres de sentiments. À Rossitz vivent côte à côte Rupert (être de raison) et Eustache (être de sentiment) ; à Warwand, Sylvester (être de sentiment) et Gertrud (être de raison).

La dernière scène de la tragédie qui, du point de vue de sa genèse, en est le noyau ( H. von Kleist Lebensspuren. Hrsg. H. Sembdner. Bremen 1957, p. 42) a pour objet la transformation en l’autre. Cette scène donne forme aux deux thèmes fondamentaux de toute l’œuvre de Kleist dans ce qu’elle a de tragique : d’une part ce qui est facteur de séparation entre les hommes, d’autre part la difficulté de la connaissance :

« Quand tu es devant moi et que tu me regardes, que sais-tu des souffrances qui sont en moi et que sais-je des tiennes ? Et quand je me jetterais à tes pieds en pleurant et en te parlant, saurais-tu plus de choses de moi que de l’enfer, quand quelqu’un te raconte qu’il est chaud et terrible ? Ne serait-ce que pour cela, nous devrions nous autres hommes nous tenir les uns devant les autres avec autant de respect, autant de gravité et d’amour que devant les portes de l’enfer… ». (Kafka cité par Marthe Robert en 1970, dans « La traversée littéraire », p. 138, ed. Grasset).

Une dernière clé serait — afin qu’on ne se méprenne pas — la signification métaphysique du drame kleistien : il n’y a ni dieu, ni diable, ni bien, ni mal. Dans la Correspondance de Kleist transparaît son indifférence envers les doctrines religieuses. On trouve pourtant un événement, noté lors de son voyage à Paris (1801). Passant par Dresde, il assiste à la célébration d’une messe dans la cathédrale catholique (il est protestant), et est bouleversé par un service religieux qu’il trouve esthétique. La Famille Schroffenstein qu’il écrit à ce moment-là s’en trouve impressionnée et regorge de terminologie chrétienne : cf. acte I, scène 1 ; et aussi Acte III, sc 1, vers 1254-1258.

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“Ce que Kleist est capable de déchaîner, ce qui jaillit, tel un éclair, dans ses lettres, dans ses nouvelles et dans ses œuvres dramatiques, nous semble être plus qu’un reflet de langage, plus qu’une saisie de la réalité même. Son langage est la trace d’une autre activité, d’un monde nouveau, jusque-là inexistant, dont les forces productives étincellent, indomptées, en tant qu’éclair ou comme une tension à laquelle il soumet la forme littéraire, pour finalement la dépasser.”

Lorsque je lis cette phrase de Mathieu Carrière, j’ai envie de la dédier aux acteurs de l’École régionale de Cannes qui ont donné — de la manière la plus brillante — La famille Schroffenstein au Festival d’Avignon cet été, mis en scène qu’ils étaient par Giorgio Barberio Corsetti. Il faut dire qu’ils avaient l’âge de Kleist quand il a écrit sa pièce !

Michèle Jung, Avignon, 2014

Wie gebrechlich ist der Mensch, ihr Götter !

Le Prince de Hombourg

Photo : Olimpia Nigris Cosattini

Lors de ce 68e Festival d’Avignon, Giorgio Barberio Corsetti — invité par Olivier Py — monte Der Prinz von Homburg de Kleist, dans La Cour d’Honneur du Palais des Papes, avec beaucoup de justesse et d’élégance.

Pour camper le propos de la pièce, dire seulement que les couronnes de gloire que le siècle ne peut lui offrir, le Prince Frédéric-Arthur de Hombourg les tresse durant son sommeil.

« Quel rêve étrange j’ai rêvé ! », dit-il au comte de Hohenzollern qui vient de l’arracher brusquement à un sommeil mystérieux. Le héros suit alors un rêve éveillé, et répond de façon très cohérente à ceux qui l’interrogent. Il voit et entend parfaitement l’Électeur de Brandenbourg son souverain, mais, en proie à une extase somnambulique, il transforme tous les détails réels qui s’offrent à sa vue. Le prince alors obéit à son rêve — expression la plus frappante de sa vie personnelle — et entre en lutte, sans le savoir, avec les ordres de son chef d’État.

Le somnambulisme de Frédéric de Hombourg permet à Kleist d’isoler son héros, de le soustraire au monde extérieur, de l’enfermer dans l’univers personnel que lui composent ses désirs les plus secrets : il peut alors avouer son désir de gloire et son amour pour Nathalie. Revenu à la réalité, il ne peut même pas nommer celle qu’il aime. Le somnambulisme ou la perte de conscience figurent — pour Kleist — une liberté supérieure dont rien, dans le monde ordinaire, ne peut donner l’image :

“Le Prince de Hombourg : Par ma foi ! Je ne sais pas où je suis.

Hohenzollern : À Fehrbellin…

Le Prince : (…) Excuse-moi ! J’y suis maintenant (…). Et les escadrons, dis-tu, se sont mis en marche ? (…) N’importe ! Ils ont pour les conduire le vieux Kottwitz (…). De plus, il m’aurait fallu revenir à deux heures du matin au Quartier Général où doivent encore être données les instructions ; ainsi, j’ai mieux fait de rester sur place. Viens, partons !…” (Vers 110 et suiv.)

Chez Kleist, le contraste entre la légèreté du somnambule et la pesanteur de l’homme éveillé fait éclater le mensonge des apparences et renverse tous les jugements de valeur que les hommes portent sur leurs pensées et sur leurs actes.

Georges Bataille fournit — dans Madame Edwarda, dans L’Érotisme ou dans Expérience intérieure — quelques éclaircissements sur l’enjeu de l’évanouissement. Il permet, dit-il, d’accéder à une vérité et à une jouissance qui se situent au-delà de l’humain. Il précise :

“Dans ce moment de profond silence — dans ce moment de mort — se révèle l’unité de l’être dans l’intensité des expériences, où sa vérité se détache de la vie et de ses objets.”

Kleist exprime clairement sa relation au réel dans une lettre à Marie :

“Aucun écrivain n’a peut-être encore été dans une situation aussi particulière. Aussi active que soit mon imagination en face du papier blanc, aussi nets dans leur contour et leur couleur que soient les personnages qu’elle fait alors surgir, autant j’ai de difficulté, voire régulièrement de douleur, à me représenter ce qui est réel.” (Berlin, été 1811)

Je me plais à redire que l’interprétation des comédiens de Giogio Barberio Corsetti — pour ne citer que le Prince (Xavier Gallais) — était juste et élégante, juste c’est à dire sans affectation.

« (…) L’affectation apparaît quand l’âme (vix motrix) se trouve dans un autre point qu’au centre de gravité du mouvement », écrit Kleist dans son Essai sur le théâtre de marionnettes (1810).

Pour ce qui est de la marionnette du tableau final, elle illustre l’indiscutable supériorité sur l’homme que Kleist lui attribue :

« (…) on retrouve la grâce après que la connaissance soit, pour ainsi dire, passée par un infini ; de sorte que celle-ci se manifeste simultanément de la façon la plus pure, dans un corps humain dépourvu de conscience ou qui en possède une infinie, je veux dire, le pantin articulé ou le Dieu. »

Il faudrait donc (songeons-y !) … que nous goûtions à nouveau à l’arbre de la connaissance pour retomber en l’état d’innocence.

Michèle Jung, Avignon, juillet 2014

Daisy…

Photo : Christian Berthelot 2014

Photo : Christian Berthelot 2014

 

Gastspiel der Compagnie Rodrigo García (Spanien)
und der Bonlieu Scène Nationale Annecy (Frankreich)
von Rodrigo García
Regie und Bühne: Rodrigo García
am 4. April 2014

Festival internationale Neue Dramatik 2014 der Schaubühne in Berlin

Der spanisch-argentinische Theatermacher Rodrigo Garcia (seit Januar 2014 künstlerischer Leiter des Théâtre des Treize vents in Montpellier) nimmt die Zuschauer in seiner neuen Arbeit : Daisy mit auf eine aberwitzige Reise mitten ins Herz der Verzweiflung über die Banalität unserer hochzivilisiert-leerlaufenden Gegenwart. Garcias Text ist von großer sprachlicher Wucht, hellsichtiger Klarheit und heilsamen, rabenschwarzem Humor.

Rodrigo Garcia schickt zwei Protagonisten in dem Kampf mit der Banalität (wie gesagt) des Alltags, dem Leerlauf westlicher hochzivilisation, des Lachhaftigkeit des daseins, ihnen zur Seite : zwei Hündchen, eine Schildkröte, hunderte Kakerlaken und Weinbergschnecken, ein Streichquartett, das Beethoven spielt und des Philosoph Leibnitz, der als Hundecoach auftritt.

In diesem Stück, sagt Rodrigo Garcia : Emily Dickinson ist kein Star, nur ein Scheiß Symbol in diesem 21. Jh.

Ach so ! ?

« Arcturus » is his other name

« Arcturus » is his other name—
I’d rather call him « Star. »
It’s very mean of Science
To go and interfere!

I slew a worm the other day—
A « Savant » passing by
Murmured « Resurgam »— »Centipede »!
« Oh Lord—how frail are we »!

I pull a flower from the woods—
A monster with a glass
Computes the stamens in a breath—
And has her in a « class »!

Whereas I took the Butterfly
Aforetime in my hat—
He sits erect in « Cabinets »—
The Clover bells forgot.

What once was « Heaven »
Is « Zenith » now—
Where I proposed to go
When Time’s brief masquerade was done
Is mapped and charted too.

What if the poles should frisk about
And stand upon their heads!
I hope I’m ready for « the worst »—
Whatever prank betides!
Perhaps the « Kingdom of Heaven’s » changed—
I hope the « Children » there Won’t be « new fashioned » when I come—
And laugh at me—and stare—
I hope the Father in the skies
Will lift his little girl—
Old fashioned—naught—everything—
Over the stile of « Pearl. »

Emily Dickinson
[sc_embed_player volume= »100″ fileurl= »http://www.kleist.fr/audio/21-Emily-21.mp3″] : écouter.

Arnaud des Pallières Verfilmung: Michael Kohlhaas (2012)

 Mads Mikkelsen

Auf den ersten Blick fasziniert diese Verfilmung: Beeindruckende Landschaftsaufnahmen, die in den französischen Cevennen aufgenommen wurden, ein im Film nachhaltig wirkender Einsatz von Farben mit harten Lichtkontrasten – sie erzeugen einen stimmungsgeladenen, häufig düsteren Hintergrund und eine raffinierte Tonregie mit aufregenden Hintergrundgeräuschen oder aber auch nur sogenannte „beredten Stillen“ – all das schafft oft eine ungewöhnliche Spannung in der Verfilmung von Pallières. Außerdem bringt der international bekannte Hauptdarsteller Mad Mikkelsen (« Casino Royale ») aus Dänemark, der den Michael Kohlhaas darstellt, eine eigene Note ins Filmgeschehen: ein Heldentyp wie aus dem Bilderbuch, ein „Beau“ schlechthin, mit seiner sportliche Erscheinung, seinem männlich-markanten Gesicht und seinem selbstsicheren und stolzen Auftreten. Zuerst wirkt also der Film überzeugend auf den unbefangenen Zuschauer.

Aber auf den zweiten Blick kommen dann doch einige Zweifel auf, vor allen Dingen dann, wenn man an das Kleistsche Original denkt. Spätestens dann, wenn man an die unvergessliche Kleistsche Personenbeschreibung denkt, also Michael Kohlhaas als « einer der rechtschaffensten zugleich und entsetzlichsten Menschen seiner Zeit », dann wird auch klarer was zu der Darstellung dieser Person Kohlhaas in der Auseinandersetzung mit seiner Umgebung eigentlich noch dazu gehört hätte.

Wie z. B. die politischen Intrigen, die auf der höchsten politischen Ebene angesiedelt sind. Denn dabei geht es schließlich auch um Machtfragen zwischen den damaligen Staatsmächten: dem König von Polen, mit dem Haus Sachsen im Streit liegend und dem Kurfürsten von Brandenburg. Im Weiteren steht sogar die Frage um Krieg und Frieden zwischen diesen Ländern im Raum. K. gerät selbst in die Mühlen der Politik, weil er mit seinem eigenen kleinen Heer ganze Städte in Schutt und Asche legen lässt. Dagegen wirkt im Film der Stellenwert der Prinzessin als einzige politische Vertretung äußerst schwach. (Vor allem in der Szene, wo sie auf K. trifft, der in einer Badewanne draußen vor dem Bauernhof sitzt und sich wäscht!) Wichtig wäre es gewesen zu zeigen, in welchem komplexen Beziehungsgeflecht mit weit reichenden Intrigen zwischen kleinem Landadel und mächtigen Königshäusern sich K. in der Kleistschen Novelle bewegt. Ganz zu schweigen von der für K. so bedeutsamen Figur wie Martin Luther, der im Film gar nicht so recht zur Geltung kommt.

Die im Film dargestellte familiäre Konstellationen z.B. die Szene mit dem Kleid, einem Kleid, das Kohlhaas seiner Frau als Geschenk mitbringt samt der darauf folgenden intimen Szene – diese soll wohl die romantische Seite K. zeigen, sie passt aber gar nicht zum Kleistschen Kern der Novelle. Auch die Beziehung zu seiner kleinen Tochter erscheint besonders rührend, z. B., wenn er sie auf dem Arm trägt – leider zu kuschelig geraten für einen Revoluzzer. Denn K., anfangs noch ein Pferdehändler, verkauft ohne lange zu zögern Hab und Gut, verlässt Frau und Kinder, um damit seinen unerbittlichen Rachefeldzug gegen seinen Widersacher zu beginnen.

Schließlich muss man bei diesem Film immer wieder an das Filmgenre: Western denken mit den häufigen grandiosen Landschaftsszenen, einem stolzen und zum Schluss einem auch noch einem einsamen Held, Gewalt und Gegengewalt und einem ordentlichen Schuss Spannung.

Dadurch geht also eine Menge der Tiefe der Kleistschen Vorlage zugunsten einer gewissen Oberflächlichkeit verloren. Gewiss – gute Literaturverfilmungen von komplexen Vorlagen sind äußerst schwierig, von der schwierigen Kleistschen Sprache einmal ganz abgesehen. Wenn man aber erst einmal das Original gelesen hat, kann man dann wirklich von diesem „Maßstab“ absehen? Oder anders herumgedacht, was passiert wenn man mit mächtigen Bildern gegen einen mächtigen Text, gegen eine mächtige Sprache antritt? Geht da nicht etwas verloren? Und vielleicht auch noch weitergehend: Kann man diese Novelle überhaupt angemessen in einem Spielfilm darstellen?

Bruno Behrendt, Hannover, September 2013

 

L’ange exterminateur…

« Sur les bords de la Havel, vers le milieu du XVIe siècle, vivait un marchand de chevaux du nom de Michael Kohlhaas, fils d’un maître d’école. (…) Il était propriétaire d’une métairie dans un village dont le nom reste encore le sien. Il y vivait paisiblement de son métier. Aux enfants que lui donna sa femme il enseigna, dans la crainte de Dieu, le labeur et la propriété. Nul entre ses voisins qui n’eût à se louer de sa droiture ou de sa charité. En un mot, force eût été au monde d’honorer sa mémoire s’il n’avait passé les bornes d’une vertu : le sentiment de la justice en fit un brigand et un meurtrier. » C’est ainsi que Kleist pose le terreau sur lequel sa nouvelle se développera en 1808.

Nouvelle qu’Arnaud des Pallières et Jeanne Lapoirie transposent dans les Cévennes, une région qui a connu l’opposition entre les protestants et les catholiques, une région dans laquelle la Résistance fut très présente au cours de la deuxième guerre mondiale. Le preneur de sons, Jean-Pierre Duret, capte — dans les paysages grandioses et montagneux — le ciel, les nuages, le vent, les bruits de la nature et des animaux pour en faire des personnages à part entière. Christelle Berthevas, la scénariste, filme la beauté des chevaux, et cadre — souvent en gros plan — Mad Mikkelsen ombrageux et frémissant comme un pur-sang ; il a toute la grâce d’un héros de Kleist ! Quant aux dialogues écrits par De Pallières, ils ne trahissent pas le style de l’auteur : une phrase, un long silence, une phrase…, des phrases — solennelles, laconiques… et des silences — éloquents. De Pallières s’est aussi permis quelques libertés : il fait une plus grande place à certains personnages (la fille de Kohlhaas par exemple), et en invente d’autres (La Princesse d’Orange du Prince de Hombourg remplace l’Électeur de Saxe !) ; il écarte également une intrigue secondaire à caractère fantastique, facile à retrouver si je vous dis : « la capsule ». Mais sachez que tout ceci rend la nouvelle lisible au spectateur que nous sommes, il faut savoir que l’écriture de Kleist n’est pas une mince affaire !

La particularité de cette nouvelle ne s’arrête pas là. Tout l’art de Kleist — fidèle à son goût pour la musique — a été de l’orchestrer — un peu à la façon du Boléro de Ravel (Penthesilea, elle, était composée comme une sonate…) — en reprenant le motif de la querelle initiale sans cesse grossi de rebondissements, enrichi d’images et de sons générés par les acteurs de plus en plus nombreux. Ils viennent y mêler leurs intrigues et leurs intérêts politiques personnels. Du Kleist !

Michael Kohlhaas — même s’il évoque le XVIe siècle — est une réflexion sur le monde contemporain. Les problèmes, les questions soulevés par le film sont universels : comment appliquer le droit ?, qu’est ce que la justice ?, qu’est ce qu’être juste ?, avoir une éthique ? Le film pose la question du pouvoir, de la manière de l’exercer. Comme nous l’avons souvent démontré dans nos travaux, Kleist est notre contemporain.

Le film fut dans la sélection officielle du Festival de Cannes. Mais c’est lors de la clôture du Brussels Film Festival qu’Arnaud des Pallières obtient le Golden Iris Award.

 

Ornella, Avignon, le 29 août 2013

Lire la version allemande

 

 

 

Heimweh…

 

Stanislas Nordey

Photo : Anna David

… mal du pays.

Les amis que je croise, lors de mes expéditions aoûtiennes, me posent invariablement cette question : alors, ce Festival ? Il est temps que je (me) parle de Par les villages de Peter Handke, une longue histoire placée sous le signe de la parole, mise en scène par Stanislas Nordey, entendue en juillet de cet été dans l’irréprochable sobriété de la Cour d’Honneur.

L’histoire commence d’une manière tout à fait banale : « Mon frère m’a écrit une lettre. Il s’agit d’argent. Plus que d’argent : de la maison de nos parents morts et du bout de terre où elle se trouve ».

Une fratrie déchirée par un héritage ! Banal ? En effet. Grégor, le frère aîné, « l’intellectuel » (Laurent Sauvage), revient sur les terres de son enfance, de sa famille. Il y revient, dit Nora (Jeanne Balibar) qui l’accompagne, « sans oreille pour le choeur souterrain du mal du pays ».

Au long du spectacle, ma pensée convoque Le pays lointain de Jean-Luc Lagarce, vu récemment dans la mise en scène de Luc Sabot. Effectuant quelques recherches, je note que Lagarce ne cache pas que son texte est une relecture, une variation du texte de Handke, à tel point que cette phrase : « Ne jouez donc pas les solitaires intempestifs » donnera son nom à la maison d’édition qu’il créera en 1992.

Revenons Par les villages. Dans un décor, remarquable par sa sobriété (baraquements en tôle ondulée couleur turquoise, puis arbres en relief sur des panneaux blancs dans la seconde partie), le texte, intense, intime et universel, se déploie comme il l’aurait fait n’importe où ailleurs. Mais nous sommes dans la Cour ! Et Stanislas Nordey a choisi de ne pas « utiliser » la Cour, parce qu’il la considère comme le « le lieu de l’intime », justement. Alors, pas de théâtre. Dans cette nuit d’été, une suite de longs monologues adressés au public comme sur un forum antique, les comédiens (au nombre de dix) sont face au public, ils interagissent peu entre eux pendant ce long poème. Cela tient autant aux thèmes qui le traversent qu’aux personnages qui se mettent à nu, allant fouiller l’enfance pour y retrouver la source de leurs difficultés d’être d’adultes. Chacun prenant tour à tour la parole, car — enfin — est venu pour lui le moment de se faire entendre.

La Cour d’Honneur se prête à ce texte qui s’apparente à la tragédie grecque, et tout inspiré de la tragédie grecque qu’il soit, c’est un oratorio largement autobiographique. Par les villages, est le dernier élément d’un ensemble : Die Geschichte des Bleistifts. Cette Histoire du crayon est un carnet de Peter Handke, où il note minutieusement et par saisissements instantanés et fragmentaires ce qui se passe avant le déferlement d’une phrase aussi bien que pendant la quête de la forme d’une œuvre. Il y fait part de ses sensations et de ses réflexions qui surgissent dans son quotidien d’écrivain pendant ses lectures et son travail d’écriture. Histoire du crayon accompagne quatre œuvres qui forment un cycle : Lent Retour, La leçon de la Sainte-Victoire, Histoire d’enfant et Par les villages, trois récits et un poème dramatique.

Peter Handke nous dit qu’il faut voir le monde à travers le regard des artistes, que c’est l’unique moyen de pouvoir y vivre, d’avoir le courage d’échapper à tout, notamment à sa famille. Dans la première version, Par les villages se terminait par : « Que l’humanité est abandonnée ! » (tiens, ça me rappelle la dernière phrase de Kleist dans Penthesilea : « Ach ! Wie gebrechlich ist der Mensch, ihr Götter ! » ). Handke, lui-même déprimé par cet ultime message, a remanié la fin de son poème. Et « Nova », dont le monologue de vingt minutes clôt la pièce, intervient tel le choeur antique pour « élargir la pensée et en faire une parole plus universelle ». Elle délivre une sorte de chant d’espoir, redonne l’espérance d’une vie plus forte que la mort, elle parle d’un art et d’une culture qui sauveront l’humanité de sa solitude et de son abandon. Ce long poème final sonne comme un sursaut joyeux dans la morosité ambiante :

« Laissez s’épanouir les couleurs. Suivez ce poème dramatique. Allez éternellement à la rencontre. Passez par les villages ».

 Ornella, Avignon, juillet 2013