Autour de…

La petite Catherine de Heilbronn et de Penthésilée, de Heinrich von Kleist

avec Michèle JUNG, Jean-François MATIGNON et Grégoire CALLIES

Maison Jean Vilar M. JungÉcouter la conférence

Jean-François MATIGNON (Compagnie fraction), va mettre Penthésilée en scène et

Grégoire CALLIES (Compagnie Le Pilier des Anges) La Petite Catherine

Séance de travail à la Maison Jean Vilar

8 rue de Mons, AVIGNON

le 21 juillet, à 17h30

Médecine Psychanalyse et Société

1923

1923

Dans le cadre du D. U. Médecine Psychanalyse et Société
Université de Montpellier 1

http://du.med.univ-montp1.fr/fmc/du-le-desir-denfant-ses-paradoxes-son-au-dela-medecine-psychanalyse-societe-76.html

le propos tenu a été intitulé :

Victime et non coupable.
La féminité en question

Ma pratique d’analyste, fondée sur une recherche quant aux rapports de la dépendance à l’alcool et la féminité, s’adresse aux étudiants inscrits à l’Université de Médecine, pour l’obtention de ce diplôme universitaire.
Lors de cette session, nous observerons cette sorte de trou que l’alcool masque et bouche… Un trou n’existe que par ses bords… L’alcoologie, traditionnellement, veut boucher le trou — par des médicaments, des cures, et tout un discours d’allure scientifique — alors qu’il convient de commencer par lui mettre des bords…
La psychanalyse propose une alternative à la médicalisation habituelle.

Michèle Jung, Mai 2015

Amour fou… FilmKritik

Jessica Hausner, die österreichische Filmregisseurin, zeigt in „Amour fou“ ein filmisches Kammerspiel und dies nach eigener Aussage eher nicht dokumentarisch, sondern interpretativ angelegt. Verspricht im ersten Moment der Titel: „Amour fou“ eine leidenschaftliche, lebensbejahende Liebe zwischen zwei Menschen, so geht es zwar leidenschaftlich zu, aber in einem ganz anderen Sinn als erwartet: Der todesfixierte Heinrich Kleist will unter allen Umständen mit seiner Liebespartnerin gemeinsam sterben und zwar in der Form, daß er erst sie, dann sich selbst erschießen will. Und es klappt: Zwar erst im zweiten Anlauf, seine Cousine lehnt im ersten Antrag sein Ansinnen klar und deutlich ab, findet er eine Partnerin (Henriette Vogel), die bereit ist, vor ihm und durch ihn zu sterben. Diese wird als empfindsame, zierliche für den Schriftsteller Kleist schwärmende, körperlich und seelisch leidende Ehefrau eines preußischen Beamten deutlich dargestellt. Vor dem Hintergrund einer gutbügerlichen Familie, in der die klassische Salon-Kultur immer wieder ausgiebig praktiziert wird, wird klar, dass das Seelenleben aller Beteiligten, auf romantische Art abgehoben vom Alltag, bis ins Detail kultiviert gehalten wird. Auch zwischen den Eheleuten Vogel geht es distanziert und kultiviert zu, selbst die Tochter wird ebenso behandelt, alles also auf eine feine gutbürgerlicher Weise, aber eben überhaupt nicht leidenschaftlich. Selbst die immer wieder durch die Filmszenen „flanierenden“ Hunde sind an die Konventionen angepaßte Lebewesen, die sehr gut zum Interieur der Gesellschaftschicht dieser Zeit passen.
Ein beeindruckender Film, eine bedrückende, düstere Darstellung von Menschen in einer bestimmten historischen und sozialen Situation, die sich nicht aus Konventionen lösen können/wollen und somit fast an Marionnetten erinnern. Die Grundstimmung erinnert gut zu seinem « geistigen Vorgänger » : Michael Hanekes: „Das Weiße Band“, ähnlich deprimierend und beklemmend. Deutlich wird dies auch am Krebsleiden der Henriette Vogel, hilflos und ungläubig stehen die Verwandten und Angehörigen davor, die Mediziner wissen auch nicht weiter, ahnen aber zumindest, dass diese Krankheit (zumindest zum Ende des Films) nicht eingebildet ist.
Man kann den sensiblen Kleist verstehen, der als Autor und Mensch von seiner Zeit nicht verstanden wird und der genug hat von dieser Welt. Dennoch unglaublich wie er sein Ego bis zuletzt, bis in den Tod pflegt, indem er eine Frau sucht, die aus Liebe und nur aus Liebe zu ihm in den Tod folgt.
Die Sprache des Films ist Kleist-gemäß, im Gehalt nach sperrig gehalten, passend zu dem sonstigen typischen Kleist-Stil, in der Aussprache wirkt sie jedoch modern.
Fazit: ein anstrengender, aber interessanter Film, der fiktiv den Kleistschen Tod beschreibt, in weiten Teilen aber seine Todespartnerin in den Vordergrund stellt.

Bruno Behrendt

Amour fou…

Christian Friedel et Birte Schöeink

Christian Friedel et Birte Schöeink

Association-Franco-Allemande

Jumelage Avignon-Wetzlar

Nous avons le plaisir et l’honneur de vous convier à une Soirée Cinéma pour voir

Amour fou…

Nous vous donnons rendez-vous le mercredi 25 février 2015, à 20 h, pour la séance de 20 h 15  à

UTOPIA MANUTENTION

où nous attend Michèle Jung, Docteur d’Université, spécialiste de Kleist, et membre de notre association.

Dans son film, Jessica Hausner (Autriche) nous offre une interprétation libre et décalée d’un épisode particulier de la vie de Kleist, celui d’un ultime épisode quand l’auteur, qui souffre d’une mélancolie aiguë, brave l’inéluctabilité de la mort.

Le mercredi 20 novembre 1811, entre deux et trois heures de l’après-midi, un couple descend d’une calèche devant une auberge de Postdam, près du Wannsee. Il vont y passer la nuit.

Vers quatre heures du matin, Henriette Vogel, puisque c’est elle, demande un café, puis encore à sept heures. En fin de matinée, Heinrich von Kleist, puisque c’est lui, dit qu’ils veulent prendre le café au bord du lac, et demande qu’on y ajoute un « Groschen » de rhum. Le couple, joyeux, s’amuse à lancer des pierres qu’il fait ricocher à la surface de l’eau. Puis on entend deux détonations. La servante de l’auberge découvre deux cadavres l’un près de l’autre : la dame, revêtue d’une robe de batiste blanc, d’une fine tunique bleue en crêpe et de gants blancs en chevreau glacé, a une tache de sang sous le sein gauche ; son compagnon, habillé d’une redingote de drap marron, d’une veste de batiste, d’une culotte de drap gris et de bottes, a le visage maculé de sang autour de la bouche. A l’horizon un mur de brouillard s’élève — gris-bleu au-dessus de l’eau et des arbres, jaune flamboyant plus haut dans le ciel…

Après le film, nous attendrons, en compagnie de Michèle Jung, tous  celles et ceux qui le souhaitent, pour une discussion autour d’un verre, au café d’Utopia.

Der Austand an sagen können…

Séminaire 2015

Nous avions pensé que la vie de Freud passée dans deux univers — slave puis autrichien — pouvait éclairer notre recherche. Mais au cours de notre séminaire 2014, il nous est apparu que c’est la langue de ses parents — mixte d’hébreu et de yiddish, la Gaunersprache — qui pouvait faire fonction de langue cachée de ses rêves. (Freud dit littéralement que « le contenu manifeste et la pensée latente du rêve s’offrent à nous comme deux présentations du même contenu en deux langues distinctes (…) »).

Nous n’avons pas souhaité expliquer une langue par l’autre, mais enrichir l’une de la présence de l’autre. Nous avons souhaité travailler le vide — la suspension — entre ces langues. « Der Ausstand an sagen können », à savoir : la perspective de ce qui reste à dire.

Cette béance au fond même de la parole, cette profondeur muette au sein du sens : stummer Tiefsinn, cet espace intermédiaire qui se découvre entre les corps des langues : l’hébreu, le tchèque, l’allemand, nous a permis de faire la jonction entre la « surface » et la « profondeur » (Husserl) de l’être.

C’est en ce sens que nous allons, en 2015, continuer le travail sur deux rêves. Celui de  « La monographie botanique ». (Die Traumdeutung. Fischer Taschenbuch Verlag, 1998 : Seiten 180, 181-188, 191 note 4, 201, 288-291, 309, 461). À plusieurs reprises, Freud répète qu’il ne peut révéler le sens du rêve de la monographie botanique « pourtant analysé à fond », car il est en étroite relation avec une scène de son enfance (scène qu’il raconte ailleurs, dans un autre texte !). Pour le second, il dit ne pouvoir exposer l’analyse de la seconde partie du rêve du « Comte Thun (ou Taaffe)» — Tafe est une prison en langue des truands —, « par égard pour la censure ».

Freud aura inventé la psychanalyse en transposant ses rêves dans une langue politiquement correcte, par crainte de représailles. “On éprouve une crainte bien compréhensible à dévoiler tant de faits intimes de sa vie personnelle. On n’est jamais assuré, ni protégé d’une interprétation erronée de la part d’étrangers” (S. Freud. Die Traumdeutung. Fischer Taschenbuch Verlag, 1998 : Seite 119)

Ce séminaire aura lieu tous les 3e lundis du mois

chez Michèle Jung en Avignon(France).

Première séance le lundi 19 janvier 2015 à 20 Uhr

Contact : Michèle Jung

06 82 57 36 68

michele.jung@kleist.fr

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Der Ausstand an sagen können…

Séminaire 2015

Wir hatten gedacht, dass das Leben Freud’s in zwei Welten — der slavischen und danach der österreichischen —, mehr Klarheit in unsere Forschungen bringen könnte. Aber, im Laufe des Seminars 2014, ist uns bewusst geworden, daß die Sprache seiner Eltern — hebraïschen und jiddisches gemischt : die Gaunersprache — eine verborgene Funktion seiner Traumsprache sein konnte. Freud sagt wortgetreu, daß “Traumgedanken und Trauminhalt liegen vor uns wie zwei Darstellungen desselben Inhaltes in zwei verschiedenen Sprachen (…)” In : Die Traumdeutung. Fischer Taschenbuch Verlag, 1998 : Seite 284”.

Wir haben nicht eine Sprache durch eine andere erklären, sondern die eine durch die Austrahlung der anderen bereichern wollen. Wir haben die Leere behandeln wollen, den Zwischenraum in der Schwebe zwischen diesen Sprachen. “Der Ausstand an sagen können”, nähmich : die Aussicht auf das, was zu sagen bleibt.

Dieser tiefe Riss — in dem Abgrund der Sprache — diese stumme Tiefe in ihrem Sinn — dieser Raum, der zwischen den Strukturen der Sprachen sichtbar wird : das Hebraïsche, das Tschechische, das Deutsche werden uns erlauben, die Verbindung zwischen der « Oberfläche » und der « Tiefe » herzustellen (Husserl).

In diesem Sinn werden wir, in 2015, diese Arbeit auf zwei Träumen fortsetzen. “Die botanische Monographie”. (In : Die Traumdeutung. Fischer Taschenbuch Verlag, 1998 : pages 180, 181-188, 191 note 4, 201, 288-291, 309, 461). Mehrmals wiederholt Freud, daß er den Sinn des Traums der botanischen Monographie — « obwohl gründlich analysiert » — nicht aufzeigen kann, weil er in engem Verhältnis mit einem Erlebnis seiner Kindheit steht (eine Szene, die er, in einem anderen Text berichtet !).

Deshalb sagt er, daß er die Analyse des zweiten Teils des Traums “Fürst Thun (oder Taaffe)”, nicht entwickeln kann — Tafe ist ein Gefängnis in der Sprache der Ganoven – in Befürchtung der Zensur. (In : Die Traumdeutung. Fischer Taschenbuch Verlag, 1998 : Seiten 217-227).

Freud wird die Psychoanalyse erfunden haben, in dem er seine Traüme in eine politisch korrekte Sprache brachte, auf Grund seiner Angst vor Verfolgung. “Man hat eine begreifliche Scheu, soviel Intimes aus seinem Seelenleben preiszugeben, weiß sich dabei auch nicht gesichert vor der Mißdeutung der Fremden” (In : Die Traumdeutung. Fischer Taschenbuch Verlag, 1998 : Seite 119).

Dieses Seminar findet jeden dritten Montag im Monat

bei Michèle Jung in Avignon (Frankreich) statt.

Erste Sitzung am Montag 19. Januar 2015 um 20 Uhr

Contact : Michèle Jung

06 82 57 36 68

michele.jung@kleist.fr

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Ein unheimliches Schweigen…

Freud par Ralf Staedman

Freud par Ralf Staedman (1980)

 

Ein unheimliches Schweigen…

In « Wien » — « die Wiege » der Psychoanalyse genannt — fühlt sich Freud eingekreist (besser gesagt : « eingekastelt ») Er fühlt sich dort nicht wohl. Es ist ihm unheimlich. Das Unheimliche befindet sich im Herzen der Kinderwelt, und so ist es sonderbar, daß Freud seine vier ersten Lebensjahre mit einem Federstrich auslöschte : unheimliches Schweigen, das das Wesentliche der Sprache ist. Also, heißt es an den heimatlichen Ort zurückzukehren, den heimatlichen Ort, wo das Kind — wie Freud es wollte — den Urzustand wiederfinden kann, wo es selbst und die Welt nicht getrennt sind. (Cf Lettre au Burgmeister de Pribor). Den Ursprungsort herausfischen — Pribor, der im Fluss Lethe versunken, diesem Strom der Vergessenheit für die, die sein Wasser getrunken haben.

Die Vergangenheit vergessen…

Vergessen… die zwei Jahre mit Monika Zajic, dem tschechischen Kindermädchen, das ihm Abzählwerse sang und ihm die berühmten Märchen von Hauff — und nicht die von Grimm — erzählte ;

Vergessen… daß sie vom Onkel Emmanuel ins Gefängnis geworfen wurde (« eingekastelt »1), weil sie « Peniz » gestohlen hatte, Freud war zwei einhalb Jahre alt ;

Vergessen… Rebecca, die zweite Frau seines Vaters. Unfruchtbar, verstoßen, stirbt sie einen rätselhaften Tod (Selbstmord ? 2), in derselben Zeit, wo die zukünftige dritte Frau Jakob Freuds, Amalia, schwanger ist ;

Vergessen… daß das Ehepaar diese voreheliche Schwangerschaft mit einem gefälschten Geburtsdatum dieses Kindes — Sigmund genannt — verbergen wird ;

Vergessen… den jüdischen Namen seines Großvaters, der dem Seinen anhing — Salomon — und die jiddische Sprache, die dazu gehörte…

Michèle Jung, Avignon

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Todestag…

Voguer vers l'Île aux Paons. Photo Michèle Jung

Voguer vers l'Île aux Paons. Photo Michèle Jung

Le mercredi 20 novembre 1811, entre deux et trois heures de l’après-midi, un couple descend d’une calèche devant une auberge de Potsdam, près du Wannsee. Le temps est gris et brumeux en cette saison, les aubergistes de la « Neuer Krug » n’ont guère de clients. Ces deux-ci — un homme et une femme — demandent deux chambres contiguës à Madame Stimming. Ils y déposent leurs rares bagages, et sortent se promener. Comme il n’existe pas de bateau pour traverser le Petit-Wannsee, ils contournent à pied l’une de ses boucles, le jour tombe, le brouillard jette des ombres à la surface du lac. À leur retour, ils commandent un repas léger, de quoi écrire et de quoi s’éclairer. Chacun gagne alors sa chambre où Riebisch, un garçon de l’auberge, a allumé du feu. Dans la soirée, ils descendent boire un café. Tard dans la nuit, ils vont et viennent encore dans leurs chambres en buvant du vin et du rhum, ils écrivent aussi.

Vers quatre heures du matin, Henriette Vogel, puisque c’est elle, descend commander du café, puis encore à sept heures. Dans la matinée, Heinrich von Kleist, puisque c’est lui, paye la note et, précisant qu’ils ne déjeuneront pas à midi, il commande deux lits supplémentaires et établit un menu à l’intention de deux invités qu’ils auront le soir. Peu avant midi, ils dépêchent un commissionnaire à Berlin pour qu’il y porte une lettre, ils remontent dans leur chambre après avoir bu quelques tasses de bouillon. Vers quatorze heures, ils bavardent avec l’aubergiste et lui demandent, en particulier, où se trouvent les Îles aux Paons qu’ils souhaiteraient visiter, mais avant, disent-ils, ils auraient beaucoup de plaisir à prendre le café au bord du lac. Vu la saison, la demande est étrange, et l’endroit choisi se trouve à cinq cents mètres de l’auberge ! Kleist fait remarquer qu’il paiera pour la peine et voudrait qu’on ajoute, pour lui, huit « Groschen » de rhum car la brume commence à tomber et il fait froid. Stimming accepte. Il fait transporter là-bas une table et deux chaises. À trois heures, sa servante s’y rend avec le café, comme prévu. Le couple, joyeux, s’amuse à lancer des pierres qu’il fait ricocher à la surface de l’eau. La servante s’éloigne, elle entend alors deux détonations. Quand elle revient, elle découvre deux corps l’un près de l’autre : la dame, revêtue d’une robe de batiste blanc, d’une fine tunique bleue en crêpe et de gants blancs en chevreau glacé, a une tache de sang sous le sein gauche ; son compagnon, habillé d’une redingote de drap marron, d’une veste de batiste, d’une culotte de drap gris et de bottes, a le visage maculé de sang autour de la bouche. Le soleil s’est couché, à l’horizon un mur de brouillard s’élève — gris-bleu au-dessus de l’eau et des arbres, jaune flamboyant plus haut dans le ciel…

L’annonce de ces deux coups de feu sort le monde littéraire de l’indifférence à l’égard de Kleist.

Michèle Jung, Avignon, 21 novembre 2014

La Chair de Felani…

 

Photo : Anna David

 

Tout a commencé un matin de printemps par un coup de cisaille sur un barbelé… et fini un soir d’automne par un coup de pioche sur un mur. Entre les deux, l’Histoire a vacillé, puis basculé…

Ce 9 décembre, nous fêtons les 25 ans de la chute du Mur de Berlin qui mesurait 165,7 km, coupait 32 voies ferrées, 3 autoroutes et des dizaines de rivières !

Hier matin, sur France Culture, Thomas Cluzel, nous disait qu’il existe — encore aujourd’hui — près d’une cinquantaine de murs, et pas seulement autour d’Etats dictatoriaux ou placés au ban des nations. Autrement dit, au moment même où l’Allemagne s’apprête à célébrer ce 25e anniversaire, les symboles de séparation, eux, prolifèrent plus que jamais : un monde de barrières de protection, à la fois militaire, anti-terroriste ou anti-immigration.

Prenez, je vous prie, cinq minutes de votre temps pour écouter cet éditorial,

qui vous donnera la clé du titre de ce billet.

Michèle Jung

Quelques clés…

pour entrer chez les Schroffenstein

Œuvre d'Erwin C. Klinzer

Œuvre d'Erwin C. Klinzer

Le 10 juillet 1801, Heinrich von Kleist (à 24 ans) arrive à Paris, il y annonce sa tragédie : Die Familie Schroffenstein. Il l’écrira à Berne, entouré de jeunes poètes : Heinrich Zschokke, Heinrich Gessner — l’éditeur Suisse, et Louis Wieland. C’est à eux qu’il fait la lecture de son drame, il obtient un succès inattendu : cette accumulation de malentendus les plus horribles, de hasards, de quiproquos les fait « pouffer de rire ». Joachim Maass rapporte :

« On pouffait de rire, on s’exclafait, si bien que le poète lui-même, qui riait aussi, ne put continuer à lire et dut      s’arrêter — ce qui, évidemment, ne voulait nullement signifier que l’œuvre n’avait pas plu. Bien au contraire : Gessner se proposa aussitôt de la publier, ce qui advint effectivement.» (Joachim Maass. « Kleist-Die Geschichte seines Lebens ». Scherz Verlag, Bern und München, 1977, Seite 61).

Avec cette œuvre inaugurale, Kleist est reconnu comme un excellent écrivain, en témoigne un article paru dans Der Freimüthige, la revue de Kotzebue :

“Der Freimüthige a aujourd’hui une bonne nouvelle à faire connaître, — il a à annoncer l’apparition d’un nouveau poète, encore inconnu, mais qui est, en vérité, un poète. » (Ludwig Ferdinand Huber, le 4 mars 1803)

Dans cette première pièce de Kleist — écrite dans une Europe bouleversée — tout y est : les soupçons — cette maladie noire de l’âme, les rumeurs, les haines entretenues, les pulsions de mort, ce que René Girard appelle « les emballements mimétiques », cette résignation nihiliste devant la fatalité (imaginée) de la catastrophe à la fois honnie et désirée, ces fantasmes de détruire l’autre et d’être détruit par l’autre. Sylvestre dit :

« Das Misstraun ist die schwarze Sucht der Seele,

Und alles, auch das Schuldlos-Reine, zieht

Fürs kranke Aug’ die Tracht der Hölle an. »

L’antithèse « Sein »-« Schein » est un des trois thèmes inhérents à la crise kantienne de Kleist : le monde des apparences ne révèle rien sur l’être. Chacune des œuvres de Kleist apportera une variation sur ce thème : où est la réalité parmi toutes les apparences dont se compose notre vie ? Comment s’orienter dans cette vie avec le sentiments pour seul guide ? Dans La famille Schroffenstein, deux faits : la noyade du jeune fils de Rupert (celui-ci s’est réellement noyé) est interprétée comme un crime commis par deux serviteurs de la branche Warwand ; la tentative de suicide de Johann, le fils naturel du même Rupert, qui n’est rien qu’amoureux d’Agnès, devient une tentative d’assassinat perpétrée sur la personne de l’unique héritière des Warwand : le « Schein » submerge le « Sein ».

Kleist qui, dans sa vie personnelle, se donne pour victime d’une force à la fois nommée destin, fatalité, hasard (Cf. Correspondance) distribue les personnages de son théâtre en êtres de raison et êtres de sentiments. À Rossitz vivent côte à côte Rupert (être de raison) et Eustache (être de sentiment) ; à Warwand, Sylvester (être de sentiment) et Gertrud (être de raison).

La dernière scène de la tragédie qui, du point de vue de sa genèse, en est le noyau ( H. von Kleist Lebensspuren. Hrsg. H. Sembdner. Bremen 1957, p. 42) a pour objet la transformation en l’autre. Cette scène donne forme aux deux thèmes fondamentaux de toute l’œuvre de Kleist dans ce qu’elle a de tragique : d’une part ce qui est facteur de séparation entre les hommes, d’autre part la difficulté de la connaissance :

« Quand tu es devant moi et que tu me regardes, que sais-tu des souffrances qui sont en moi et que sais-je des tiennes ? Et quand je me jetterais à tes pieds en pleurant et en te parlant, saurais-tu plus de choses de moi que de l’enfer, quand quelqu’un te raconte qu’il est chaud et terrible ? Ne serait-ce que pour cela, nous devrions nous autres hommes nous tenir les uns devant les autres avec autant de respect, autant de gravité et d’amour que devant les portes de l’enfer… ». (Kafka cité par Marthe Robert en 1970, dans « La traversée littéraire », p. 138, ed. Grasset).

Une dernière clé serait — afin qu’on ne se méprenne pas — la signification métaphysique du drame kleistien : il n’y a ni dieu, ni diable, ni bien, ni mal. Dans la Correspondance de Kleist transparaît son indifférence envers les doctrines religieuses. On trouve pourtant un événement, noté lors de son voyage à Paris (1801). Passant par Dresde, il assiste à la célébration d’une messe dans la cathédrale catholique (il est protestant), et est bouleversé par un service religieux qu’il trouve esthétique. La Famille Schroffenstein qu’il écrit à ce moment-là s’en trouve impressionnée et regorge de terminologie chrétienne : cf. acte I, scène 1 ; et aussi Acte III, sc 1, vers 1254-1258.

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“Ce que Kleist est capable de déchaîner, ce qui jaillit, tel un éclair, dans ses lettres, dans ses nouvelles et dans ses œuvres dramatiques, nous semble être plus qu’un reflet de langage, plus qu’une saisie de la réalité même. Son langage est la trace d’une autre activité, d’un monde nouveau, jusque-là inexistant, dont les forces productives étincellent, indomptées, en tant qu’éclair ou comme une tension à laquelle il soumet la forme littéraire, pour finalement la dépasser.”

Lorsque je lis cette phrase de Mathieu Carrière, j’ai envie de la dédier aux acteurs de l’École régionale de Cannes qui ont donné — de la manière la plus brillante — La famille Schroffenstein au Festival d’Avignon cet été, mis en scène qu’ils étaient par Giorgio Barberio Corsetti. Il faut dire qu’ils avaient l’âge de Kleist quand il a écrit sa pièce !

Michèle Jung, Avignon, 2014