L’ange exterminateur…

« Sur les bords de la Havel, vers le milieu du XVIe siècle, vivait un marchand de chevaux du nom de Michael Kohlhaas, fils d’un maître d’école. (…) Il était propriétaire d’une métairie dans un village dont le nom reste encore le sien. Il y vivait paisiblement de son métier. Aux enfants que lui donna sa femme il enseigna, dans la crainte de Dieu, le labeur et la propriété. Nul entre ses voisins qui n’eût à se louer de sa droiture ou de sa charité. En un mot, force eût été au monde d’honorer sa mémoire s’il n’avait passé les bornes d’une vertu : le sentiment de la justice en fit un brigand et un meurtrier. » C’est ainsi que Kleist pose le terreau sur lequel sa nouvelle se développera en 1808.

Nouvelle qu’Arnaud des Pallières et Jeanne Lapoirie transposent dans les Cévennes, une région qui a connu l’opposition entre les protestants et les catholiques, une région dans laquelle la Résistance fut très présente au cours de la deuxième guerre mondiale. Le preneur de sons, Jean-Pierre Duret, capte — dans les paysages grandioses et montagneux — le ciel, les nuages, le vent, les bruits de la nature et des animaux pour en faire des personnages à part entière. Christelle Berthevas, la scénariste, filme la beauté des chevaux, et cadre — souvent en gros plan — Mad Mikkelsen ombrageux et frémissant comme un pur-sang ; il a toute la grâce d’un héros de Kleist ! Quant aux dialogues écrits par De Pallières, ils ne trahissent pas le style de l’auteur : une phrase, un long silence, une phrase…, des phrases — solennelles, laconiques… et des silences — éloquents. De Pallières s’est aussi permis quelques libertés : il fait une plus grande place à certains personnages (la fille de Kohlhaas par exemple), et en invente d’autres (La Princesse d’Orange du Prince de Hombourg remplace l’Électeur de Saxe !) ; il écarte également une intrigue secondaire à caractère fantastique, facile à retrouver si je vous dis : « la capsule ». Mais sachez que tout ceci rend la nouvelle lisible au spectateur que nous sommes, il faut savoir que l’écriture de Kleist n’est pas une mince affaire !

La particularité de cette nouvelle ne s’arrête pas là. Tout l’art de Kleist — fidèle à son goût pour la musique — a été de l’orchestrer — un peu à la façon du Boléro de Ravel (Penthesilea, elle, était composée comme une sonate…) — en reprenant le motif de la querelle initiale sans cesse grossi de rebondissements, enrichi d’images et de sons générés par les acteurs de plus en plus nombreux. Ils viennent y mêler leurs intrigues et leurs intérêts politiques personnels. Du Kleist !

Michael Kohlhaas — même s’il évoque le XVIe siècle — est une réflexion sur le monde contemporain. Les problèmes, les questions soulevés par le film sont universels : comment appliquer le droit ?, qu’est ce que la justice ?, qu’est ce qu’être juste ?, avoir une éthique ? Le film pose la question du pouvoir, de la manière de l’exercer. Comme nous l’avons souvent démontré dans nos travaux, Kleist est notre contemporain.

Le film fut dans la sélection officielle du Festival de Cannes. Mais c’est lors de la clôture du Brussels Film Festival qu’Arnaud des Pallières obtient le Golden Iris Award.

 

Ornella, Avignon, le 29 août 2013

Lire la version allemande

 

 

 

Heimweh…

 

Stanislas Nordey

Photo : Anna David

… mal du pays.

Les amis que je croise, lors de mes expéditions aoûtiennes, me posent invariablement cette question : alors, ce Festival ? Il est temps que je (me) parle de Par les villages de Peter Handke, une longue histoire placée sous le signe de la parole, mise en scène par Stanislas Nordey, entendue en juillet de cet été dans l’irréprochable sobriété de la Cour d’Honneur.

L’histoire commence d’une manière tout à fait banale : « Mon frère m’a écrit une lettre. Il s’agit d’argent. Plus que d’argent : de la maison de nos parents morts et du bout de terre où elle se trouve ».

Une fratrie déchirée par un héritage ! Banal ? En effet. Grégor, le frère aîné, « l’intellectuel » (Laurent Sauvage), revient sur les terres de son enfance, de sa famille. Il y revient, dit Nora (Jeanne Balibar) qui l’accompagne, « sans oreille pour le choeur souterrain du mal du pays ».

Au long du spectacle, ma pensée convoque Le pays lointain de Jean-Luc Lagarce, vu récemment dans la mise en scène de Luc Sabot. Effectuant quelques recherches, je note que Lagarce ne cache pas que son texte est une relecture, une variation du texte de Handke, à tel point que cette phrase : « Ne jouez donc pas les solitaires intempestifs » donnera son nom à la maison d’édition qu’il créera en 1992.

Revenons Par les villages. Dans un décor, remarquable par sa sobriété (baraquements en tôle ondulée couleur turquoise, puis arbres en relief sur des panneaux blancs dans la seconde partie), le texte, intense, intime et universel, se déploie comme il l’aurait fait n’importe où ailleurs. Mais nous sommes dans la Cour ! Et Stanislas Nordey a choisi de ne pas « utiliser » la Cour, parce qu’il la considère comme le « le lieu de l’intime », justement. Alors, pas de théâtre. Dans cette nuit d’été, une suite de longs monologues adressés au public comme sur un forum antique, les comédiens (au nombre de dix) sont face au public, ils interagissent peu entre eux pendant ce long poème. Cela tient autant aux thèmes qui le traversent qu’aux personnages qui se mettent à nu, allant fouiller l’enfance pour y retrouver la source de leurs difficultés d’être d’adultes. Chacun prenant tour à tour la parole, car — enfin — est venu pour lui le moment de se faire entendre.

La Cour d’Honneur se prête à ce texte qui s’apparente à la tragédie grecque, et tout inspiré de la tragédie grecque qu’il soit, c’est un oratorio largement autobiographique. Par les villages, est le dernier élément d’un ensemble : Die Geschichte des Bleistifts. Cette Histoire du crayon est un carnet de Peter Handke, où il note minutieusement et par saisissements instantanés et fragmentaires ce qui se passe avant le déferlement d’une phrase aussi bien que pendant la quête de la forme d’une œuvre. Il y fait part de ses sensations et de ses réflexions qui surgissent dans son quotidien d’écrivain pendant ses lectures et son travail d’écriture. Histoire du crayon accompagne quatre œuvres qui forment un cycle : Lent Retour, La leçon de la Sainte-Victoire, Histoire d’enfant et Par les villages, trois récits et un poème dramatique.

Peter Handke nous dit qu’il faut voir le monde à travers le regard des artistes, que c’est l’unique moyen de pouvoir y vivre, d’avoir le courage d’échapper à tout, notamment à sa famille. Dans la première version, Par les villages se terminait par : « Que l’humanité est abandonnée ! » (tiens, ça me rappelle la dernière phrase de Kleist dans Penthesilea : « Ach ! Wie gebrechlich ist der Mensch, ihr Götter ! » ). Handke, lui-même déprimé par cet ultime message, a remanié la fin de son poème. Et « Nova », dont le monologue de vingt minutes clôt la pièce, intervient tel le choeur antique pour « élargir la pensée et en faire une parole plus universelle ». Elle délivre une sorte de chant d’espoir, redonne l’espérance d’une vie plus forte que la mort, elle parle d’un art et d’une culture qui sauveront l’humanité de sa solitude et de son abandon. Ce long poème final sonne comme un sursaut joyeux dans la morosité ambiante :

« Laissez s’épanouir les couleurs. Suivez ce poème dramatique. Allez éternellement à la rencontre. Passez par les villages ».

 Ornella, Avignon, juillet 2013

Anniversaire…

Le 22 janvier 1963, le chancelier Adenauer et le général de Gaulle signent le « Traité entre la République Française et la République Fédérale d’Allemagne sur la coopération franco-allemande » dans le salon Murat de l’Elysée. Dans une « déclaration commune » accompagnant le Traité, ils réaffirment leur conviction que « la réconciliation du peuple allemand et du peuple français, mettant fin à une rivalité séculaire, constitue un évènement historique qui transforme profondément les relations entre les deux peuples ».

Ah ! Göttingen !

Écouter la version allemande

Ornella, 22 janvier 2013

Éclats d’automne…

Otilia Bors, 2011

Le foyer rural de Colombières sur Orb (34) vous invite, pour son premier Éclat d’automne, à suivre Michèle Jung dans une approche personnelle, sonore et visuelle de la Penthésilée de Kleist,

le samedi 29 septembre 2012, à 18h30
Renseignements au 04 67 95 77 25

Dans cette pièce de théâtre écrite en 1807, Kleist imagine un épisode fictif de la Guerre de Troie : Penthésilée et ses Amazones, rompant annuellement leur vœu de chasteté à l’occasion de la Fête des Roses, viennent semer le désordre dans les rangs des combattants grecs et troyens. Fondant à la tête de son peuple sur la troupe des guerriers grecs, la reine des Amazones tombe amoureuse de leur chef, Achille. Sa fierté et son devoir d’Amazone lui imposent de vaincre son ennemi avant de l’aimer. Au terme d’un combat singulier, dans le lit tumultueux de la bataille, la reine des Amazones

“aidée de sa meute, déchire celui qu’elle aime et le dévore, poil et peau, jusqu’au bout”.

Mais… « n’ayez pas peur, » dit l’auteur dans sa correspondance, « c’est tout à fait lisible ». Marie von Kleist lit la pièce et exprime son sentiment à son cousin. Celui-ci lui répond :

 “tout ce que vous m’écrivez sur Penthésilée me touche au-delà de toute expression.C’est vrai, j’y ai mis tout le fond de mon être (…), à la fois toute la souillure et tout l’éclat de mon âme”. (Dresde, fin de l’automne 1807)

Qu’est-ce qui a pu fasciner dans cette tragédie incandescente où Kleist a mis le plus intime de lui-même ? Qu’est-ce qui attire les lecteurs dans ces miroirs scintillants « comme le saphir et la chrysolithe », illuminés par « la splendeur éblouissante d’Achille tout revêtu d’airain » ?

Telle l’alouette, nous nous sommes nous-mêmes laissée prendre à ces miroirs dont les Amazones entouraient Penthésilée, ces miroirs

 “(…) louant la forme divine des membres sveltes enserrés dans l’airain.” (Vers 1260)

 En sera-t-il de même pour vous ?

 Ornella, septembre 2012, d’Avignon

 

Le cœur à gauche…

… le porte-feuille à droite.

 

Die Schaubuehne

Photo Anna David

 

Ein Volksfeind d’Henrik Ibsen, mis en scène par Thomas Ostermeier, est créé le 18 juillet 2012 au Festival d’Avignon.

Dans cette pièce d’Henrik Ibsen, Stockmann (Stefan Stern) découvre que les eaux des thermes, qui font la richesse de la petite station où il est médecin, sont polluées. Il souhaite qu’un journal publie ses informations, et demande aux élus de prendre leurs responsabilités. C’était oublier que son frère, maire du village, ne l’entendra pas ainsi. Une lutte fratricide s’attise et s’enflamme, pour prendre un tour politique.

En 1883, le dramaturge norvégien offre à son héros — le docteur Stockmann — une ultime planche de salut, à savoir défendre son point de vue en organisant une réunion publique. Reprenant au bond la balle lancée par Ibsen, Thomas Ostermeier choisit le moment crucial de cette prise de parole publique, pour rallumer la salle de l’Opéra-Théâtre d’Avignon et lancer un débat avec les spectateurs. Un débat sur cette démocratie qui, en l’occurrence, s’oppose à un homme s’efforçant de faire entendre une vérité au mépris des intérêts économiques de ceux qui ont pignon sur rue dans sa ville. Les acteurs — descendus dans la salle — se font avocats du diable et défendent les principes d’une démocratie protégeant la croissance pour le bénéfice du plus grand nombre. Les spectateurs s’emparent des micros qu’on leur tend pour les contredire calmement, mais vertement, et prendre le parti de Stockmann. En coulisses, le metteur en scène, (directeur artistique de la Schaubühne à Berlin, nous le rappelons) « contrôle » ces prises de parole. C’est lui qui donne le signal de la fin des débats, celui aussi de la reprise du cours de la pièce et ce avec une maîtrise parfaite, relayée par une équipe artistique exceptionnelle.

Quelle place pour la vérité et la justice dans une société soumise à l’économie et à la finance ?,

telle est la question totalement réactualisée qu’Ostermeier fait surgir de cette pièce écrite en 1882.

Tout est habilement maîtrisé pour arriver à ce résultat. Thomas Ostermeier a remanié l’œuvre, l’a étoffée de « L’Insurrection qui vient », texte projeté sur le rideau de scène avant d’être proféré par Stockmann. La mise en scène est également remarquable : on oscille entre réunion entre intellos de gauche, et répétitions d’un groupe de rock qui a le bon goût de reprendre « Changes » de David Bowie.

Ibsen désigne son héros comme bouc-émissaire et le transforme en ennemi du peuple… l’occasion pour Ostermeier de choisir de le lapider sous une pluie de bombes de peintures multicolores : comme dans la réalité, on coupe court à la discussion par la force. Au final, c’est toute une salle debout qui applaudit et ovationne la troupe et le metteur en scène. Un succès unanime qui peut aussi s’entendre comme l’expression d’une satisfaction des spectateurs d’avoir pu participer à la dénonciation du manque de démocratie directe qui mine nos sociétés européennes.

Si Ibsen termine sa pièce en parant jusqu’au bout d’une intransigeance aveugle son incorruptible Stockmann – son double sans doute, lui qui choisit longtemps l’exil en Italie plutôt que de rester dans une Norvège corrompue —, le patron de la Schaubühne choisit de le montrer dubitatif : Stockmann se laissera-t-il séduire par la proposition de son beau-père de reprendre lui-même les thermes ?

Ornella, Avignon 2012

♥ Avis aux lyonnais : ce spectacle sera repris du 29 janvier au 2 février 2013 au Théâtre National Populaire de Villeurbanne.

28 06

Une-jouissance, en-corps

Une jouissance… Encore,

C’est ce qu’Elle entend… en oralisant ce titre !

Et Elle ouvre le Séminaire XX, chapitre I, intitulé « De la jouissance »… tiens, ça commence bien ! Enfin, ne rêvons pas, Lacan dit dès la page 10 : « La jouissance, c’est ce qui ne sert à rien ».

Si Freud n’a pas parlé de jouissance, aurait dit Lacan, c’est pour être compris par les lecteurs de son époque… Enfin, c’est ce qu’Elle a entendu dire, Elle n’en connaît pas la source.

Et Elles ? Qu’est-ce qu’Elles en disent, ces Elles qui se sont exprimées dans des textes qui ont constitué le débat des années 20 sur la féminité, des textes recueillis par Marie-Christine Hamon dans : Féminité. Mascarade. Ces Elles qui se nomment : Anna Freud, Hélène Deutsch, Joan Rivière, Josine Müller…

Ces derniers temps, en ces temps où on a médiatisé à outrance ce qu’il en était d’une jouissance masculine, j’ai aimé rapporter ce rêve d’une patiente de Joan Rivière justement, écrit en 1929, et intitulé : « La féminité en tant que mascarade ».

« Elle se trouvait seule à la maison, terrifiée ; un Noir entrait et la trouvait en train de faire la lessive, les manches retroussées et les bras nus. Elle lui résistait, mais avec l’intention secrète de le séduire sexuellement ; il commençait à l’admirer et à lui caresser les bras et la poitrine… »

La femme qui a fait ce rêve est une américaine qui réussissait remarquablement dans sa profession. Elle souffrait d’une angoisse qui se manifestait après chaque conférence donnée en public. La nuit qui succédait, elle était saisie d’un état d’excitation et d’appréhension, comme craignant d’avoir commis un impair ou une maladresse, et elle ressentait un besoin obsédant de se faire rassurer (par exemple provoquer, pour recevoir des compliments de la part d’un homme, alors qu’elle ne faisait que peu de cas de la valeur de son jugement).

Dans ce rêve, dit Joan Rivière, cette femme tente d’effacer les conséquences de ses actes (ses conférences réussies) en se « déguisant » en femme châtrée. (« Elle lave sa faute », dira encore Joan Rivière.) Le masque de la femme châtrée, c’est celui de la femme en train de faire la lessive, les manches retroussées et les bras nus, et cette femme châtrée incarne — la patiente le croit — la femme désirable. La mascarade consiste à cacher qu’elle a le phallus, et donc à tromper l’Autre.

Ce rêve — un homme Noir séduit par la position d’une femme servile — montre que ce que la patiente attend d’un homme, c’est d’être aimée pour ce qu’elle n’a pas. Le rêve vient confirmer un de ses fantasmes qui est : en cas d’attaque par un homme, il faut s’offrir à lui sexuellement pour pouvoir ensuite le livrer à la justice… Je cite :

«(…) lorsqu’elle vivait dans le Sud des États-Unis : si un noir venait à l’attaquer elle se défendrait en l’obligeant à l’embrasser et à faire l’amour pour pouvoir ensuite le livrer à la justice. »

Ainsi le sujet qui craint le père, dit Joan Rivière, veut se déguiser en femme châtrée, pour le séduire et l’éliminer. Sa jouissance est de garder secret ce qu’elle a, pour faire valoir ce qu’elle est. C’est ce que Lacan note comme étant « sa procédure sacrificielle, tout faire pour les autres, adoptant les formes les plus élevées du dévouement féminin, comme si elle disait : « Mais voyez, je ne l’ai pas, ce phallus, je suis femme, et pure femme ». Et ceci, le sujet l’adresse essentiellement aux hommes qui l’avaient admirée sous sa face de femme phallique, et c’est là sa jouissance.

Jacques Rabinovitch, le 6 novembre 2010, nous questionnait : La jouissance est-elle entre pulsion et fantasme ?

Michèle Jung, 2806-2011

« Ein Weg ist ein Weg…

… auch im Nebel»

Vaclav Havel, décédé le 18 décembre dernier, a vécu les années staliniennes, l’invasion d’août 1968 qui mit fin au Printemps de Prague, puis les vingt ans du régime de Gustáv Husák… Aujourd’hui, j’aimerais rendre hommage à l’écrivain dramaturge, à l’amateur de peinture, de littérature, de jazz et de cinéma que j’ai pu « fréquenter » au cours de différentes manifestations, à Paris ou en Avignon.

Pour mémoire,

au lendemain de l’intervention des forces du pacte de Varsovie, en août 1968, Vaclav Havel, qui a joué un rôle important au sein de l’Union des écrivains tchèques — un des moteurs du « Printemps de Prague » — est privé de théâtre : ses premières pièces, dans un style caustique proche de Kafka, suscitent une certaine irritation dans les milieux politiques…,

il est arrêté à Prague dans la nuit du 29 mai 1979 avec 10 autres signataires de la Charte 77, sous l’inculpation de subversion contre la République. Paul Puaux écrit une lettre au gouvernement tchécoslovaque, pour qu’il puisse assister à la première des deux pièces créées par Stephan Meldegg pour le XXXIIIe Festival d’Avignon. Mais c’est sans lui que nous verrons : Audience (1975) et Vernissage (1975), salle Benoît XII, avec Pierre Arditi, Victor Garrivier, Bernard Murat et Catherine Rich ; sans lui que nous participerons à la « Rencontre du Verger d’Urbain V », rencontre de l’équipe artistique avec le public avignonnais, le 4 août 1979. Cette année-là encore, Beckett écrit Catastrophe et lui dédie cette pièce ; on se souvient aussi des soirées de soutien à La Cartoucherie… Le 23 octobre, une « délégation » formée de Patrice Chéreau, du mathématicien Jean Dieudonné, du sculpteur Chalier et du philosophe Jean-Pierre Faye se présentent au palais de Justice de Prague en vue d’être les témoins du procès de Vaclav Havel. L’entrée leur est refusée, ils sont arrêtés…,

le 21 juillet 1982, une nuit d’hommage lui est consacrée au Festival d’Avignon. Elle est organisée par l’A.I.D.A., et s’intitule : « Vaneck, à la recherche de son auteur ». Ferdinand Vaneck est un personnage autobiographique créé par Vaclav Havel. On le retrouve dans trois de ses pièces en 1 acte, Audience, Vernissage et Pétition. Cette nuit-là, l’A.I.D.A. invite les artistes du monde entier à faire vivre, eux aussi, le personnage Ferdinand Vaneck qui erre seul au monde, et à lutter ainsi pour la libération de son auteur : Vaclav Havel, emprisonné pour 4 ans et demi, est interdit d’écriture…

il est à nouveau arrêté, un bouquet de fleurs à la main, le 16 janvier 1989, sur la place Venceslas, lors de la manifestation commémorant le 20e anniversaire du suicide de Jan Palach, et condamné à 9 mois de prison le 22 février pour incitation au désordre et obstruction à l’ordre public. En France, le 21 mars, une manifestation est organisée devant le théâtre de Chaillot pour réclamer sa libération ; un gala de solidarité est donné au Théâtre de l’Atelier le 24 avril ; et Daniel Gélin se lance avec Pétition (que nous verrons sur FR3, un vendredi soir d’avril 1989, à 20H50 dans une réalisation de Jean-Louis Comolli)…,

lors du festival 2002, Jan Burian met en scène Vernissage. La pièce, en tchèque, est donnée dans la Salle Flanchet du Lycée St Joseph, dans un décor de Karel Glogr ; une exposition est installée Rue de Mons ; deux films sont projetés à Utopia ; Marcel Bozonnet lit La grande roue dans les jardins de la rue de Mons ; une rencontre animée par Josyane Savigneau est prévue avec Vaclav Havel le 17 juillet, il ne pourra y être, et le soir même, au Verger d’Urbain V, une nuit exceptionnelle est organisée par son épouse Olga Spichalova, par Élie Wiesel, Victor Haïm, Andrée Chedid et Arthur Miller. C’est le chanteur tchèque Charlie Soukup qui ouvre cette soirée.

Le pari de Vaclav Havel — sous ses habits présidentiels — fut de réconcilier, dans la tradition tchèque, culture et politique. Cette réconciliation il l’a exprimée sur le plan du langage : il a construit chacun de ses discours comme des petites pièces émaillées de citations et de considérations philosophiques, rythmées par des effets théâtraux. « Quand Havel parle, il apporte la culture et la poésie » disait de lui la sociologue Helena Jarosava.

Mais, je vous le disais, je n’ai raconté que… ce à quoi j’ai pu assister.

Ornella, Avignon, janvier 2012

 

Photo Michèle Jung

Le lundi 9 juillet 2012, Pierre Arditi et Stéphan Meldegg ont lu « Audience » dans les Jardins de la Maison Jean Vilar.

Kleist Jahr…

Portrait de Kleist

Von Kleist : Encre de chine d'A. Masson, 1940, (49x34)

„Träum’ ich? Wach’ ich? Leb’ ich? Bin ich bei Sinnen?“ – nicht nur der Prinz von Homburg, alle Kleist-Figuren wissen nicht, wo oben und unten ist, wissen weder ein noch aus. Heinrich von Kleist schreibt an seine Schwester Ulrike: „die Wahrheit ist, daß mir auf Erden nicht zu helfen war“ und erschießt sich am 21. November 1811, mit 34 Jahren…

Kleist-Jahr